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Coupe partielle en forêt mixte ou feuillue

Des essais prometteurs avec l’abatteuse multifonctionnelle

26 février, 2013  par Alain Castonguay


L’opérateur Samuel Labbé fait la pause pour répondre aux questions des participants à la visite sur le chantier de coupe de Stoneham. Il conduit un porteur Valmet 415 doté d’une tête d’abattage Valmet 360.

Des coupes partielles dans des forêts de feuillus avec une tête multifonctionnelle? Des chercheurs de FPInnovations sont convaincus de la faisabilité du procédé de récolte par bois tronçonné, déjà utilisé dans les opérations en forêt résineuse.

Une visite terrain dans la région de Québec, le 8 décembre dernier, a permis de discuter des avantages de ce procédé.

À la demande de plusieurs personnes, on voulait vérifier la faisabilité et la rentabilité de la récolte par bois tronçonné, en comparaison avec la récolte par tronc entier. Guyta Mercier, du Partenariat Innovation Forêt, a donc organisé cette visite en forêt avec l’équipe de FPInnovations (FPI). Les organisateurs ont dû limiter le nombre de participants à 30, tant l’intérêt était élevé. « Au départ, je m’attendais à attirer dix personnes, raconte Philippe Meek, chercheur chez FPI. Ce n’est pas la meilleure saison pour organiser une sortie en forêt. »

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« Des entrepreneurs arrivent déjà à tirer profit du procédé de récolte en bois tronçonné, insiste M. Meek. On espère en encourager d’autres à les imiter. » Il reconnaît cependant que « déshabiller un gros feuillu avec une multifonctionnelle » requiert bien des heures de formation et de pratique de la part de l’opérateur de l’abatteuse, et plus de supervision que l’autre méthode. Trois avantages notables sont associés au système de bois tronçonné : la possible intégration du traitement à la récolte du bois résineux, la réduction du nombre de blessures aux arbres à proximité du trajet de déplacement de la machine, et l’impact réduit sur le sol.

Première station en forêt privée
Le premier arrêt de la visite se trouvait dans une grande forêt privée de Stoneham, dominée par les feuillus, où l’on récolte aussi un petit volume de résineux. Le premier traitement réalisé sur le site, une coupe à diamètre limite, avait été réalisé environ 40 ans plus tôt. La structure du peuplement est inéquienne, avec plusieurs gros arbres, mais surtout beaucoup de tiges d’avenir que l’on veut préserver. On récolte de 30 à 35 % du volume sur pied. Le martelage est ajusté en fonction de ce que l’on trouve sur le site; dans ce cas-ci, on prélève les arbres surannés ou dépérissants. « Tant mieux si l’on arrive à produire du bois de qualité sciage ou déroulage, mais ce n’est pas l’objectif sylvicole », précise Luc Deslauriers, des Conseillers forestiers de la région de Québec.

Lors de notre passage, l’entrepreneur Yvan Labbé utilisait l’abatteuse Valmet 415, munie d’une tête d’abattage multifonctionnelle Valmet 360 (voir encadré « Équipements offerts »). « Pour faire des coupes sélectives en forêt privée, cette machine est parfaite, assure M. Labbé, même si elle peut sembler petite. » Les propriétaires de lots boisés n’aiment pas voir de grosses ornières du bois traîner en forêt, note-t-il. 

Son fils était l’opérateur de jour ce matin-là, tandis que l’autre fils travaille de nuit. Samuel Labbé note que si la bille de pied dépasse une longueur de 18 pieds (5,49 m), le porteur ne peut la charger de manière efficace. « On peut avoir une bille de 25 pieds (7,62 m) si on se rend à 5 pouces au fin bout », dit-il.

Pour couper les plus grosses tiges, on emploie la technique du tronçon amélioré. L’abatteuse utilise alors la longueur du mât pour couper à la hauteur des premières grosses branches. La partie supérieure de l’arbre est généralement destinée au marché du bois à pâte feuillue, et peut être débitée en billes de 8 ou 16 pieds, ou encore en billons. On protège ainsi la bille de pied, où se trouvent les produits de bois ayant le plus de valeur. Cette partie est sciée en dernier, à partir de la souche, lorsque l’opérateur est certain de ne pas en compromettre la valeur.

Dans la mesure du possible, Samuel Labbé essaie de débiter le bois de qualité sciage en longueur de 8, 9 ou 10 pieds, et il laisse le bois de qualité pâte en 16 pieds. Tant qu’il n’y a pas de nœud sur le tronc, la tête lui indique la longueur de manière précise.

Règles de façonnage
Philippe Meek rappelle que si l’on demande à l’opérateur « d’ébrancher l’arbre jusqu’à 4 pouces au fin bout » afin de récolter tout le volume de pâte, le prix à payer peut être très élevé. Si la machine doit passer plus de 90 secondes sur le même arbre, il vaut mieux le laisser par terre et laisser un ouvrier finir le travail à la scie à chaîne. « Ça ajoute 0,50 $/m3 à ton coût d’écimage, pour seulement une partie du cycle de travail, au lieu de faire perdre du temps à la machine qui te coûte 180 $ l’heure », dit-il.

Dans le procédé de coupe partielle par bois tronçonné, la machine évolue plus lentement dans le peuplement. Le temps de déplacement est nettement plus réduit, soit 25 % au lieu de 50 % pour le système par tronc entier, souligne Jean-Philippe Gaudreault, de FPI. « Ça réduit la consommation de carburant. C’est bon aussi pour la durée de vie des chenilles », dit-il.

La machine se déplace moins parce que l’opérateur s’occupe du façonnage, entre 39 et 53 % du temps selon les chantiers. « C’est un élément qui n’est pas négligeable si l’on veut travailler de nuit, note Philippe Meek. Ça a toujours été difficile de travailler de nuit en forêt feuillue. Il me semble plus facile de l’envisager dans un système de bois court. » Le bruit de l’abatteuse a plus de chance de déranger le sommeil de quelqu’un en forêt privée que dans la grande forêt publique.

La bonne évaluation de la qualité du bois et le respect du peuplement résiduel sont les deux exigences qu’Yvan Labbé impose aux opérateurs. Il avoue ne jamais confier l’abatteuse à un nouvel opérateur, tant que ce dernier n’a pas montré un minimum de connaissance dans le tri des essences feuillues. On lui confie d’abord la conduite du porteur, où l’on peut observer sa manière de manipuler les billes et de protéger les arbres debout. 

Philippe Meek recommande de fournir le minimum de règles à l’opérateur. Il coûte moins cher de passer plus de temps à discuter du façonnage avec l’opérateur avant qu’il ne conduise la machine dans le peuplement. « Avec le marché qui est très dur, les exigences pour le bois de sciage sont moins sophistiquées qu’auparavant, dit-il. Il est plus facile de les atteindre avec la méthode par bois tronçonné. Si les directives de façonnage sont simples, on peut produire des billots de sciage avec ce système. »

Deuxième arrêt à Duchesnay
Après la pause du dîner, le groupe s’est déplacé vers Duchesnay, sur le territoire de la forêt de la station forestière gérée par la SÉPAQ. On y pratique la coupe progressive irrégulière (CPI). Ce traitement est privilégié dans les cas où les arbres matures sont en nombre insuffisant. « On a ici une forêt à deux étages, avec du gros bois et beaucoup de petites tiges, mais rien entre les deux, explique Philippe Meek. On met l’accent sur l’installation de la régénération, en protégeant les semenciers et le couvert résiduel. » Par exemple, on peut récolter un premier volume de bois, puis revenir récolter 15 ans plus tard, avant de laisser le peuplement intact durant 40 ans. La coupe de jardinage vise plutôt à assurer une production constante de bois tous les 15 ou 25 ans.

À Duchesnay, la récolte de cette forêt mixte était sous la responsabilité de l’entrepreneur Camil Vigneault. Généralement, l’opérateur est accompagné par un ouvrier qui participe à l’écimage, mais ce n’était pas le cas lors de notre passage. Son fils Yannick opère la tête Keto 525 chargée sur une excavatrice Liebherr qui a été modifiée. Tant M. Vigneault que son fils ne sont guère entichés à l’idée de travailler de nuit. Yannick Vigneault mentionne qu’il arrête généralement la machine une heure après le coucher du soleil. Il avoue avoir mis environ un an avant de se sentir à l’aise avec la coupe partielle par bois tronçonné.

Certains craignent que les picots des rouleaux laissent des marques sur les billes, ce qui peut déclasser le bois à l’usine. « Quand ça arrive, c’est parce que l’arbre est courbé, indique Camil Vigneault. Quand le tronc est droit, il n’y a pas de marques. Ça fait quelques années qu’on utilise cette technique et ça ne pose pas de problème. » L’été, il utilise le système de traction doté de rouleaux « moins agressifs ».

Il utilise la technique du « tronçon amélioré » pour la protection du couvert résiduel. La méthode facilite le travail quand les arbres au plus gros diamètre menacent de s’empêtrer dans les voisins. La tête Keto peut couper l’arbre jusqu’à 25 pieds (7,62 m) en hauteur. « C’est souvent le défaut, la courbure ou le gros nœud, qui détermine l’endroit où on commence à couper », précise M. Vigneault. 

Comparaison de coûts
Dans une étude de FPI de 2009, le coût de l’abattage-façonnage variait de 5,38 $ à 9,80 $ le mètre cube, les deux autres chantiers étant évalués à 6,53 $ et 6,94 $. Le coût du débardage, avec un porteur de douze tonnes qui parcourt une distance moyenne de 300 mètres, est évalué à 6,81 $/m3, ce qui est moindre qu’en utilisant la débusqueuse à câbles pour tirer les troncs entiers. « C’est une évaluation sommaire qui doit être validée selon votre contexte, précise M. Meek. Il peut y avoir des frais plus élevés de supervision, de transport et de logistique. »

Pour amener le bois au chemin, le coût de la coupe partielle par le procédé classique du bois en longueur (tronc entier), incluant l’écimage par un abatteur manuel, est estimé à 18,71 $/m3. Même en prenant le chantier le moins productif de l’étude de FPI, le système de bois court (ou tronçonné) est évalué à 18,38 $/m3. On peut facilement réduire ce coût, estime-t-on.   

Observations préliminaires
La mécanisation des opérations dans la récolte de bois feuillus est apparue au milieu des années 1990, faute de recruter le personnel requis pour abattre et ébrancher les gros arbres.

En forêt feuillue ou mixte, on favorise généralement la récolte par tronc entier avec une grosse abatteuse-groupeuse, avec écimage et ébranchage par un ouvrier avec une scie à chaîne. On sort le bois avec une débusqueuse à câble, et l’opérateur du porteur démêle les essences au chemin. La méthode fonctionnait relativement bien, sauf pour les coupes partielles (jardinage, assainissement) où les coûts demeuraient trop élevés. En plus, le débardage du bois cause beaucoup de blessures aux arbres à proximité des sentiers.

Dans ce rapport intitulé Observations préliminaires de récolte par bois tronçonnés en coupe partielle de forêt feuillue et mixte, FPI insiste sur la nécessité d’établir des consignes efficaces de façonnage et de tronçonnage, et de renforcer la supervision afin d’éviter des pertes importantes dans la valeur des produits.

Équipements offerts
Afin de réaliser les coupes partielles, Philippe Meek a soumis un classement des huit têtes multifonctionnelles offertes sur le marché selon la force de traction des rouleaux. « Vous connaissez les entrepreneurs, la première chose qu’ils modifient sur leur abatteuse, c’est le moteur de traction des rouleaux. » Pour réaliser le traitement, la force de traction doit être supérieure à 27 kilos Newton (kN), estime-t-il. Deux modèles (Timberjack 762C et Logmax 5000) ont une puissance inférieure à cette limite.

Il faut également considérer le diamètre des arbres et la découpe maximale offerte par la tête d’abattage. « Quand on a un gros feuillu de 30 pouces de diamètre (76 cm), on peut imiter le castor en faisant le tour, mais ça ralentit le travail », dit-il. Cinq des modèles proposés (Keto 525, Quadco 5660, Logmax 5000, Timberjack et Valmet 360.1) ont une capacité de découpe maximale variant de 60 à 65 cm. Les trois têtes plus robustes (Logmax 7000, Waratah 622B et 624C) peuvent scier des arbres entre 75 et 79 cm.

Enfin, quatre modèles pèsent moins de 3000 livres (1361 kilos), « mais ces machines peuvent faire le travail en fonction de votre contexte forestier », ajoute M. Meek. Selon la taille de l’engin et la possibilité de travailler de nuit, le coût d’utilisation varie de 172,58 $ à 192,36 $ par heure machine productive (HMP).


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