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Un traitement sylvicole prometteur

Le CERFO vante les mérites de la coupe progressive irrégulière

22 février, 2013  par Alain Castonguay


Après une intervention dans une CPI à Duchesnay. Portion en installation de la régénération. Photo : Gilles Joanisse (CERFO)

Depuis trois, Guy Lessard et son équipe du CERFO collaborent à l’implantation de la coupe progressive irrégulière comme traitement sylvicole dans les forêts publiques du Québec. Des entrepreneurs de plusieurs régions du Québec ont participé à l’expérimentation. Malheureusement, les contraintes budgétaires imposées par le gouvernement du Québec risquent de reléguer l’expérience au rencart.

Tout comme pour la coupe progressive (CPE), la coupe progressive irrégulière (CPI) comporte les mêmes étapes, soit la coupe d’ensemencement, une ou plusieurs coupes partielles, puis la coupe finale. Mais le traitement peut s’étaler plus longtemps, de 25 à 60 ans, en fonction de la longévité des essences. On utilise trois patrons de coupe pour le réaliser : en plein, par trouées ou par lisières.

La CPI est appliquée dans les cas où les peuplements montrent une composition diversifiée en essences tolérantes ou semi-tolérantes à l’ombre et dont la longévité est variable, de même qu’une structure irrégulière, souvent en plusieurs étages d’arbres. On considère ainsi le peuplement comme un ensemble de micropeuplements homogènes, chacun ciblé par des instructions spécifiques.

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Cette approche est apparentée à celle du multitraitement développée par FPInnovations et Forêts Canada (voir les travaux de Philippe Meek et Jean-Martin Lussier). On souhaite ainsi changer la mentalité des forestiers, axée sur le volume à récolter, afin qu’ils se préoccupent d’abord du peuplement résiduel. L’ingénieur forestier Guy Lessard du CERFO explique que la notion principale au cœur de la réussite du traitement est celle de l’espacement. « Si le peuplement est composé d’arbres de petit diamètre, on favorise l’éclaircie. Si les arbres sont plus gros, l’objectif du traitement est de gérer la compétition. »

La réussite de la CPI passe par la gestion adéquate de la lumière et le scarifiage après la coupe d’ensemencement, pour favoriser l’implantation des essences désirées, principalement le bouleau jaune. Le succès de la régénération de cette essence passe par un lit de germination bien humide où le sol minéral a été bien mélangé à la couche organique. Selon la documentation technique fournie par le CERFO, les objectifs sylvicoles de la CPI visent à favoriser les éléments suivants :
l’ensemencement des essences désirées en maintenant des arbres-semenciers;

  • l’installation et la survie de la régénération;
  • la croissance du couvert résiduel;
  • le maintien de plusieurs cohortes d’arbres d’âges différents.

Lors de l’essai parrainé par le CERFO, l’équipe de supervision a mené un suivi très serré des travaux de récolte, afin de s’assurer que les opérateurs intègrent rapidement les directives. « On l’a vu dans les différents chantiers, le succès passe par le contremaître du chantier. C’est lui qui valide la compréhension du traitement auprès des opérateurs en forêt », note M. Lessard. Selon ce qu’on lui a rapporté, le traitement aide à valoriser l’expertise des opérateurs d’abatteuses.

Dans Portneuf
Dans la région de la Capitale-Nationale, la Scierie Dion de Saint-Raymond-de-Portneuf a participé dès 2010 à l’expérimentation du CERFO. L’une des particularités du territoire de la MRC de Portneuf est que plusieurs entrepreneurs actifs en forêt publique réalisent encore la récolte avec des abatteurs manuels.

Rencontrés à l’usine en juin dernier, les ingénieurs forestiers Éric Deslauriers, de Scierie Dion, de même que Réjean Julien et Étienne Lambert, du Groupement forestier de Portneuf, confirment leur intérêt envers la démarche du CERFO. « Si c’est nous qui avions proposé cela au ministère des Ressources et de la Faune (MRNF), jamais ils n’auraient accepté », affirme Réjean Julien. « Pour une fois qu’un projet était mené à l’extérieur de l’industrie et auquel on pouvait participer, renchérit Éric Deslauriers. Le CERFO est indépendant, reconnu pour la qualité de ses recherches. On s’est appuyé sur eux. »

Dans ces peuplements, explique-t-il, on pratique normalement le jardinage par pied d’arbre très standard, avec le martelage MSCR, et on ne récolte que du bois de piètre qualité, beaucoup de pâte, un peu de bois résineux, un petit peu de sciage feuillu. « On aimait bien l’approche du CERFO, ça nous aide à avoir une meilleure écoute au MRNF, ajoute M. Deslauriers. Ça fait des années qu’on le dit que les sommes investies en sylviculture ne sont vraiment pas égales à la qualité du bois qu’on prélève. Le coût du kilomètre de chemin, quand tu fais juste du jardinage par pied d’arbre, coûte très cher pour chaque mètre cube récolté. » Après le premier été d’expérimentation, la coupe en lisières a été généralisée en 2011 dans la forêt publique de Portneuf.

Étienne Lambert évalue que le patron en lisières revient de 250 à 300 $ de moins à l’hectare que le patron « en plein ». Il fait observer que les abatteurs manuels n’aiment guère la CPI, car elle les oblige à marcher davantage dans le peuplement, ce qui peut devenir harassant quand le couvert de neige est important en hiver. Dans une coupe de jardinage classique, les abatteurs coupent les arbres qui ont été marqués de peinture lors du martelage. Pour la CPI, on marque plutôt les arbres que l’on désire conserver; on parle alors de martelage positif. « Pour les abatteurs, ils disent que c’est la même chose que d’habitude, mais à l’inverse », rigole M. Lambert.

Des freins
Tous reconnaissent tout de même quelques obstacles survenus dans le cadre de l’essai. Les marteleurs doivent sélectionner les arbres de manière plus rigoureuse, et le travail prend un peu plus de temps, tout comme la supervision technique. On observe aussi que dans la classe de diamètre 10-22 cm, les abatteurs récoltent trop souvent des tiges à plus fort diamètre si elles n’ont pas été martelées. On ne récolte en théorie que des arbres de 24 cm et plus de diamètre. On note aussi un problème de blessures plus fréquentes aux arbres résiduels causés par le débardage du bois par le porteur forestier.

Éric Deslauriers préfère tout de même l’approche adoptée pour l’été 2012, qui lui semble plus simple : on procède avec de la coupe totale, sur une bande de 15 mètres, avec un prélèvement d’un arbre sur quatre dans les cinq mètres de chaque côté du sentier principal. Cependant, le MRNF exige le scarifiage à proximité des sentiers. M. Deslauriers et M. Lambert constatent que le coût de cette opération est élevé pour des résultats peu probants, surtout si l’on doit revenir couper au même endroit 15ans plus tard. M. Deslauriers note aussi que le scénario sylvicole impliquant plusieurs récoltes étalées dans le temps est peu évident à rentabiliser. « Ça prend beaucoup de volume pour justifier ça. Mais surtout, 35 ans après le premier passage, les chemins seront dans quel état? Allons-nous refaire 10 km de chemins pour aller récolter 40 mètres cubes à l’hectare? Ça ne me semble pas évident. »

Le principal reproche est le manque de stabilité de l’approche sylvicole imposée par le MRNF dans la région de Québec. Selon Réjean Julien, « depuis cinq ans, ça n’arrête pas, on n’a aucune stabilité dans les travaux. Tout le monde trouve l’approche du CERFO intéressante. La stabilité, ça suppose d’attendre les résultats sur quelques années d’opération. C’est inacceptable. On forme le personnel, puis les modalités changent. Ce n’est pas terrible pour le recrutement et la rétention du personnel », dit-il.

M. Julien ajoute que le manque de stabilité dans l’attribution des crédits sylvicoles rend impossible toute planification en forêt publique. « Je dois négocier avec des industriels, mais c’est difficile si je n’ai aucune idée de ce que seront mes coûts. Ça ne peut pas fonctionner. » Même les modalités du patron en lisières ont été changées en pleine saison, souligne-t-il.

Le crédit sylvicole pour la coupe de jardinage est de 780 $ l’hectare, tandis qu’il est d’environ 550 $ l’hectare pour la CPI.

La coupe par bande imposée en 2012 vient avec un crédit d’environ 300 $ l’hectare. Le MRNF n’autorise plus la CPI en 2012, faute de budget. Les entrepreneurs, qui affirment déjà dépenser plus en raison des besoins de supervision technique, se disent dans l’impossibilité de poursuivre l’expérimentation. La situation est la même en Mauricie et au Bas-Saint-Laurent.

Ailleurs au Québec
Dans la région voisine de la Mauricie, Alain Devault, de la Compagnie Commonwealth Plywood du Canada, précise que l’entreprise a participé à l’expérimentation du CERFO dès 2009, et que ses commentaires sont faits à titre personnel. L’entreprise a choisi de participer en ayant trois objectifs en tête, dit-il : la rentabilité du traitement, la pertinence sylvicole et l’acceptabilité sociale.

Pour l’instant, il constate encore certains problèmes. Au plan sylvicole, les résultats ne sont guère différents, surtout au point de vue du volume moyen récolté à l’hectare et du diamètre moyen des tiges abattues. Les exigences de suivi rendent le martelage nettement plus coûteux. « Au lieu de faire l’équivalent du suivi de 12 à 15 parcelles par jour, la supervision technique a été limitée à trois parcelles par jour », dit-il. Il manque encore deux conditions pour que le traitement soit pleinement utilisable en forêt, estime-t-il. Il faut permettre la récolte des arbres du type « S » (sain) et réduire les coûts de la vérification après traitement. Sur le terrain, le travail n’est guère plus compliqué avec la CPI et le personnel a pu s’ajuster sans trop de problèmes, assure-t-il.

Au plan sylvicole, si la CPI est justifiable au plan théorique, son application sur le terrain n’est pas toujours évidente. Le procédé est utile pour la récolte du tremble, avec du sapin-épinette en sous-étage, de même que dans l’érablière. Dans le cas du bouleau jaune, il estime que la grandeur des trouées est encore insuffisante. Selon lui, le CERFO a reconnu le pro-
blème. Enfin, souligne M. Devault, chaque région a ses particularités de marché. Il faut que l’industriel puisse trouver un preneur pour écouler le bois de qualité pâte issu des traitements sylvicoles.

Alain Devault confirme par ailleurs que la baisse des budgets sylvicoles imposée par le MRNF en 2012 fera en sorte que la CPI ne sera pas utilisée cette année. « Je n’ai pas l’argent pour faire le traitement, alors on ne le fera pas. » Il n’y a pas assez de rentabilité à pratiquer la CPI si le crédit sylvicole associé au traitement est insuffisant, et c’est le cas dans la région.

La situation est similaire au Bas-Saint-Laurent, note l’ingénieur forestier Jean-François Desbiens, de Bois d’œuvre Cedrico. « J’avais planifié la réalisation de 200 ha en CPI en 2012, mais on n’en fera pas un seul. L’opération n’est pas rentable sans le crédit sylvicole et le budget n’est pas disponible cette année », dit-il. Dès l’automne 2009, Cedrico a participé à la formation des opérateurs offerte par le CERFO, qui s’est poursuivie durant l’hiver 2009-2010. Trois des principaux entrepreneurs qui alimentent Cedrico et un quatrième sous-traitant ont suivi la formation.

L’une des conditions de la participation de l’entreprise était de pratiquer le traitement avec la machinerie déjà utilisée par les opérateurs. Après les premiers essais, on a constaté que ce n’était pas l’abattage avec la multifonctionnelle qui posait problème avec la CPI, mais les blessures aux arbres résiduels faites lors du débardage par le porteur forestier.

L’expérimentation a été utile à l’égard du suivi de la formation sur le terrain avec les opérateurs. C’est là que les gains ont été les plus importants, affirme M. Desbiens, tant en matière de réduction du nombre de blessures que de l’amélioration de la productivité. Les opérateurs ont tous fait des commentaires très positifs à la suite de l’expérimentation, conclut-il.    •


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