Jeudi matin, un fardier transportant une excavatrice est arrivé à proximité du barrage érigé par un petit groupe de manifestants au km 59 depuis maintenant neuf mois. Akim Grenier se dirige vers le camionneur et lui demande de se ranger sur le côté.
«On avait dit à Résolu qu’on bloquait le chemin, dit-il. Il n’aurait pas fallu monter», ajoute-t-il en parlant à l’opérateur Denis Lavoie.
Quelques instants plus tard, Charles Aubut, le propriétaire d’Excavation Aubut et Saint-Pierre, qui possède l’équipement, vient les rejoindre. «Je ne suis pas trop au courant de vos revendications, mais il me semble que c’est avec le ministère que vous devriez trouver un terrain d’entente, parce que moi, je dois travailler pour faire vivre ma famille et mes employés», dit-il, ajoutant que d’autres machines devraient passer au cours des prochains jours pour aller réaliser un contrat de chemin forestier, dans le cadre d’un mandat octroyé par Produits forestiers Résolu.
«Mon but premier, ce n’est pas d’empêcher les gens de travailler, mais c’est de faire respecter nos droits», répond Akim Grenier. «Je ne vais pas vous demander de faire un détour de fou, mais je vais vous demander un temps d’arrêt pour créer un impact.»
Quand il parle de faire respecter ses droits, Akim Grenier explique qu’il aimerait que les gestionnaires de territoire innus soient mieux consultés par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts et par Mashteuiatsh.
Pour y arriver et se faire entendre, ils bloquent donc le chemin aux forestiers, qui se retrouvent coincés dans une impasse. «On fait des efforts pour vous aider et on doit se laisser la chance de réussir, a fait remarquer Patrick Lamothe, superviseur général aux opérations forestières chez PFR qui est venu rejoindre la conversation. On n’a rien contre vous et tout le monde a le droit de manifester, mais le blocage est invivable et on ne peut pas venir argumenter à chaque fois qu’on veut faire passer une machine.» Ce dernier a également expliqué que PFR ne choisit pas où elle récolte le bois, car c’est le MRNF qui fait la planification et qui alloue les secteurs à récolter.
Akim Grenier a pour sa part soutenu que son frère, Alex, a négocié avec Produits forestiers Résolu le 29 avril, en son absence. En échange de laisser passer la machinerie, PFR allait faire des démarches pour obtenir une rencontre avec le MRNF. Il semble que cette rencontre a été refusée et c’est pourquoi Alex Grenier voulait bloquer complètement le chemin à compter du 2 mai.
Ce dernier s’est toutefois fait arrêter le 1er mai en soirée, et Akim Grenier s’est retrouvé seul avec sa mère pour tenir la barricade.
Après une heure de pourparlers, il a laissé passer les camions. «Pour les prochains jours, on va garder le profil bas pour voir si on peut avoir une rencontre avec le ministère», a-t-il soutenu, espérant avoir des suivis au cours des prochains jours.
Ping-pong entre la SQ et le MRNF
Selon Ann Mathieu, relationniste à la Sureté du Québec, la SQ n’a pas à intervenir dans de tels conflits de nature civile. «C’est à la personne ou l’organisation qui a déposé la demande d’injonction de retourner devant les tribunaux pour signaler qu’elle n’est pas respectée, explique-t-elle. C’est au tribunal de décider si une intervention doit être faite qui peut nous impliquer ou pas.»
Le ministère de la Sécurité publique, François Bonnardel, appuie le travail de la SQ. «Les corps de police ont pour mandat de faire appliquer la loi sur le terrain et ce faisant, ils agissent en privilégiant la diplomatie et en misant sur trois principes historiques, soit l’urgence d’agir, le fondement juridique de l’intervention et la nécessité d’intervenir», explique-t-il.
Le MRNF estime pour sa part qu’il n’a pas le pouvoir de forcer le respect d’une injonction émise par un tribunal, souligne le service des relations publiques par courriel. «Suivant les conclusions de l’injonction, la Sûreté du Québec est autorisée à prendre les moyens nécessaires si elle constate le non-respect de l’ordonnance. Le Ministère est en contacts réguliers avec la Sureté du Québec pour assurer un suivi de la situation ».
Sur le terrain, personne n’assume la responsabilité de faire respecter l’injonction, ce qui inquiète Luc Simard, le préfet de la MRC Maria-Chapdelaine, exaspéré de la situation. «Le gouvernement doit intervenir avant qu’il arrive un accident», dit-il, estimant que Québec a le devoir de faire respecter la loi.
Le conflit en rappel
À titre de rappel, le blocus forestier au km 59 a été initié le 31 juillet 2023 par le Collectif Mashk Assi, pour demander l’arrêt de la récolte de bois vert. Après une journée, le collectif a plié bagage, mais le barrage a été maintenu par Denyse Xavier, une kukum innue et gestionnaire du territoire où se déroulaient des coupes forestières.
À ce moment, elle avait notamment le soutien d’Alex et Akim Grenier, mais à l’automne, une chicane a fait en sorte qu’elle a délaissé les barricades. «Alex a dit aux enquêteurs que je me promenais avec un sac de peanuts et il parlait dans mon dos, ça fait que je me suis tassée», a-t-elle témoigné en octobre 2023.
Une fois partie, ce sont les deux frères Grenier qui ont maintenu la barricade, et ce, malgré une injonction qui a été promulguée par la cour en septembre 2023. Le blocus a donc été maintenu jusqu’en janvier 2024, lorsque l’huissier est retourné en forêt pour faire lever la barricade.
Puis, le 18 avril, Alex Grenier a contacté le Quotidien pour signifier qu’il allait recommencer à bloquer le chemin aux forestiers, malgré l’injonction en vigueur. Le 1er mai, ce dernier s’est fait arrêter, car il est accusé de voie de fait, d’avoir abattu un chien, d’avoir fait des menaces de mort et d’avoir entravé le travail de la police.
Fait à noter, Pekukamiulnuatsh Takuhikan (le conseil de bande de Mashteuiatsh) s’est dissocié des manifestants dès les premiers instants. Ces derniers estiment notamment que les élus de Mashteuiatsh cèdent les ressources naturelles au rabais sans les consulter et ils sont contre la signature du traité Petapan, avec le gouvernement du Québec, qui permettrait d’obtenir de meilleures redevances sur les ressources naturelles. Les manifestants estiment aussi que leurs droits ancestraux sur le territoire ne sont pas respectés. Selon Mashteuiatsh, ces droits ancestraux sont collectifs et non individuels.