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Étude de l’IRIS sur l’industrie forestière : entre mésinformation et méconnaissance

15 octobre, 2020  par Guillaume Roy



Selon une nouvelle étude publiée jeudi par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomique (IRIS), l’industrie forestière reçoit des subventions « à pleine main » du gouvernement du Québec malgré son déclin depuis le début des années 2000. Le Quotidien a décortiqué l’étude avec deux experts pour y voir plus clair, qui y voient une certaine manipulation des données pour tirer des conclusions.

« L’industrie est à la croisée des chemins : il faut renouveler le modèle avant de perdre davantage », peut-on lire dans l’amorce du communiqué présentant l’étude Portrait de l’industrie forestière au Québec : une industrie qui a besoin de l’État. Le communiqué poursuit en disant que « le gouvernement ne lésine pourtant pas pour aider cette industrie. En 2019, le gouvernement a octroyé 370 M$ pour les travaux sylvicoles et le développement de l’industrie des produits forestiers en plus d’élargir encore les territoires ouverts à la coupe ».

Toutefois, aucun nouveau territoire n’a été ouvert à la coupe, et un des chercheurs principaux de l’étude, Bertrand Schepper, reconnaît l’erreur… qui a été publiée dans le communiqué de presse envoyé à tous les médias du Québec.

Selon Luc Bouthillier, économiste forestier et professeur au département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval, les auteurs de l’étude n’ont pas compris que la forêt était publique et que les investissements en sylviculture n’étaient pas une aide à l’industrie forestière. « C’est au propriétaire de s’occuper de l’entretien et du renouvellement de la forêt », dit-il. De plus, les bénéfices de ces investissements ne se feront sentir que dans plusieurs décennies. Selon ce dernier, il est normal que le gouvernement « jardine » sa forêt, afin de créer davantage de valeur.

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« Les travaux sylvicoles sont inclus dans l’aide que l’État fournit à l’industrie, mais comme c’est l’État l’aménagiste, c’est logique que ce soit lui qui assume les coûts, remarque pour sa part Éric Alvarez, doctorant en aménagement forestier, qui croit que l’étude est sérieuse, mais faite avec des oeillères. L’industrie est une acheteuse de bois dans l’actuelle politique. Le sujet pouvait plus se discuter dans la précédente politique, mais aujourd’hui, c’est sans effet et ça devrait être enlevé de l’équation », ajoute l’homme qui vient de publier le livre Forêts québécoises : De la nécessité de s’affranchir de L’Erreur boréale.

Bertrand Schepper explique que son équipe a misé sur les meilleures données économiques disponibles, utilisant notamment les données de Statistiques Canada ainsi que les informations obtenues grâce à plus de 200 demandes d’accès à l’information et le poids de l’industrie dans le PIB. « L’industrie de l’exploitation forestière reçoit souvent plus d’aide de l’État qu’elle ne rapporte de revenu fiscal », peut-on lire dans l’étude qui inclut les investissements sylvicoles comme une subvention à l’industrie dans ce calcul.

Décortiquer les chiffres

Sur les 370 millions de dollars avancé par l’IRIS, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a investi 178 millions de dollars en sylviculture en 2019. La balance de 192 M$ représente des sommes accordées « pour le développement des produits forestiers ». Ces montants incluent notamment le Programme de remboursement des chemins multiressources, d’une valeur de 36,1 M$, ainsi que les investissements en forêt privée, de 28,5 M$.

Dans l’amorce de l’étude, l’IRIS note que « dans son plus récent budget, le gouvernement annonce des aides financières à l’industrie forestière de près de 114 M$ supplémentaires ». Cette somme n’a toutefois pas de lien direct avec l’industrie forestière, car elle fait référence à un budget de 63,8 M$ pour « accroître la contribution de l’industrie forestière à la lutte contre les changements dans le Plan québécois des infrastructures 2020-2030. Le communiqué de presse fait tout de même état de ce montant comme étant un fait saillant de l’étude pour tenter de démontrer que les subventions de l’État devaient atteindre 485 M$ en 2020.

« Cette étude n’a pas été faite par des gens qui connaissent la forêt », remarque Luc Bouthillier, ajoutant que l’étude pourrait mener à de la mésinformation. « Ça démontre une profonde ignorance du secteur et de la dynamique entre la production de bois, qui est publique, et la transformation, qui est du secteur privé. On ne peut pas mettre tout ça ensemble. »

Informations pertinentes, sauf que…

Pourtant, l’étude contient plusieurs informations socioéconomiques pertinentes, portant un éclairage intéressant sur les différents crédits d’impôt dont bénéficient les acteurs de l’industrie. Un travail de moine qui a nécessité plus de 200 demandes d’accès à l’information.

Selon l’étude, « chaque dollar dépensé par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs rapporte 0,41 $ en recette forestière ». Cette donnée calcule exclusivement les subventions de l’État et les revenus tirés des entreprises. Une donnée intéressante, mais qui donne un portrait incomplet, selon Luc Bouthillier. « Ils ont échappé un gros morceau en regardant juste l’impôt sur les corporations, parce que l’État engrange des revenus fiscaux et parafiscaux importants sur les 60000 emplois dans l’industrie », dit-il, tout en soulignant que l’industrie payait peu d’impôt pendant la crise du bois d’oeuvre parce qu’elle ne faisait pas de profits.

L’étude note par ailleurs que le nombre d’emplois à chuté de 35 % entre 2001 et 2018, passant de 94 000 à 59 900. Il est toutefois important de spécifier que la coupe forestière a été réduite de 30 % depuis 2006, a la suite du rapport Coulombe et que les usines manufacturières ont automatisé leurs procédés pendant cette période.

« Les revenus en redevances et taxes d’opération sont passés de 517,6 M$ en 2000 à 193,1 M$ en 2013 », peut-on aussi lire dans l’étude. La chute est énorme, car les données disponibles ont fait en sorte de comparer une industrie à son apogée avec une période de reprise légère après la crise du bois d’œuvre de 2008. Depuis 2013, les revenus de l’État ont bondi, pour atteindre 295 M$ en 2018-2019.

Luc Bouthillier admet que l’industrie forestière a déjà été plus florissante. Le secteur des pâtes et papiers ne sera plus jamais le même et une transition est nécessaire. Mais ce dernier estime que l’industrie forestière est promise à un bel avenir, notamment avec les produits du bois pour la construction et le développement de la bioénergie. « Si on vise une économie verte, le secteur forestier est notre meilleure carte », dit-il, en soulignant que le bois est un des seuls matériaux qui permet de capter du carbone, et ainsi de lutter contre les changements climatiques.

Comme le stipulent les auteurs de l’IRIS, Luc Bouthillier estime qu’on doit diversifier l’économie des régions. Selon Éric Alvarez, la foresterie devra faire partie de la solution, car elle est le moteur du développement. « L’IRIS souhaite moins de foresterie et plus de tourisme, en particulier, en oubliant que sans industrie forestière, il n’y a plus de chemins forestiers… et moins de tourisme! », laisse-t-il tomber.


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