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Quel avenir pour le papier québécois ?

24 juin, 2020  par Guillaume Roy


Depuis plusieurs années, le marché du papier est en déclin, à raison d’environ 12 % par année. La pandémie de COVID-19 a toutefois accéléré la décroissance, alors que près de 50 % du marché a disparu, du moins momentanément. Peu importe la vitesse de la reprise, des pertes de marché importantes sont à prévoir et les usines doivent revoir leur futur sous le signe de l’innovation… ou de la fermeture.

La demande de papier est en chute libre partout dans le monde et l’Amérique du Nord n’y échappe pas. De 2000 à 2018, la consommation de papier journal est passée de 12,3 millions de tonnes à moins de trois millions. Et ça, c’était sans compter l’impact de la COVID-19, qui est venue chambouler l’industrie du papier. Selon une analyse de marché réalisée par la CIBC, la demande de papier chutera de 40 % à court terme en Amérique du Nord.

Résultat : plusieurs machines et usines sont fermées en attente d’une reprise du marché. Depuis le début de la pandémie, Produits forestiers Résolu (PFR) a ainsi fermé ses usines d’Amos et de Baie-Comeau, ainsi que la machine numéro 10 à Alma.

Papiers White Birch a aussi fait plusieurs arrêts temporaires dans ses usines de Gatineau (Papiers Masson) et de Rivière-du-Loup (FF Soucy), touchant jusqu’à 280 employés.

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Matthew Buchko, analyste de l’industrie des pâtes et papiers pour IBISWorld, remarque que la pandémie a grandement affecté la consommation de papier d’impression. « La fermeture des écoles et des milieux de travail a drastiquement réduit l’utilisation du papier », dit-il.

Des fermetures anticipées

À compter de maintenant, le télétravail pourrait faire partie de la normalité pour plusieurs entreprises, laissant présager une baisse d’utilisation du papier. « Si les choses ne reviennent pas à la normale, il y aura des changements radicaux dans l’industrie et on doit s’attendre à un nombre significatif de fermetures », avance-t-il.

Les bassins d’épuration de l’usine de Dolbeau-Mistassini

L’expert estime également que les papetières canadiennes sont plus à risque que celles au sud de la frontière, car le protectionnisme de l’administration Trump impose des risques pour les investissements au Canada.

Du côté du papier journal, la situation n’est guère plus rose, car plusieurs entreprises ont cessé de faire de la publicité du jour au lendemain lorsque l’économie a été mise sur pause. Cette baisse de revenus a forcé les médias à revoir leur modèle d’affaires. Et certains changements d’abord temporaires sont devenus permanents.

« Avec la pandémie, on sent une accélération de la baisse de l’utilisation du papier comme support marketing, remarque Jacques Nantel, professeur émérite en marketing au HEC Montréal. Plusieurs entreprises ont réalisé un virage Web pendant la pandémie, et certaines d’entre elles ne retourneront pas en arrière. »

De plus, les entreprises auront de la difficulté à soutenir le coût logistique du support papier et de sa distribution, alors que les impacts de la crise économique se font déjà sentir. Par exemple, Aldo, Reitmans et Sail se sont récemment mis sous la protection des tribunaux. « Ces entreprises devront diminuer leurs coûts et comme chaque dollar compte, ils vont réévaluer l’importance de la publicité sur papier », croit-il.

En avril, le président et chef de la direction de PFR, Yves Laflamme, a aussi fait connaître ses inquiétudes quant à la baisse de la demande, lors la présentation des résultats financiers de l’entreprise. « La publicité est tombée comme une brique. Ça devient très compliqué d’opérer des machines à papier et d’avoir des commandes rentables pour supporter les opérations. Dans le papier journal, on ne retrouvera pas beaucoup de demandes. Dans le papier à valeur ajoutée, la question est de savoir à quelle vitesse ça va revenir. C’est certain que ça ne reviendra pas au complet et que ça va laisser des traces importantes. »

À la fin mai, Maxi a aussi annoncé qu’elle abandonnait la publication de sa circulaire.

Selon un rapport sur les valeurs mobilières de la CIBC publié le 30 avril, PFR devrait réduire sa production de papier journal et de papier de spécialité de 18 % en 2020, suivi d’une baisse de 7 % en 2021. Malgré ce ralentissement, la CIBC estime que PFR a des liquidités suffisantes pour gérer ce ralentissement.

Les usines de Produits forestiers Résolu de Dolbeau-Mistassini, de Kénogami et d’Alma fabriquent du papier de spécialité, utilisé notamment pour la production de circulaires et de magazines.

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L’IMPORTANCE DE L’INNOVATION

Alors que la chute de la demande de papier se poursuit, l’innovation sera la clé de la survie des usines papetières québécoises.

En janvier, Produits forestiers Résolu (PFR) a annoncé un investissement de 27 millions de dollars à son usine de Kénogami pour la production de filaments cellulosiques, un produit utilisé pour renforcer différents papiers ou autres matériaux, comme des adhésifs, de la peinture ou du ciment. Un investissement fort attendu qui assure un avenir à l’usine de Kénogami.

« Ce produit permet de faire des emballages plus résistants que le plastique », souligne Luc Bouthillier, professeur à l’Université Laval spécialisé en économie forestière.

Malgré cet investissement porteur d’avenir, plusieurs usines du géant forestier sont encore « trois coups en retard », estime-t-il.

Le Syndicat national des travailleurs et travailleuses des pâtes et papiers d’Alma réclame d’ailleurs une étude de marché, similaire à celle qui a mené à des investissements de 27 M$ à l’usine de Kénogami, pour développer de nouveaux produits afin d’en assurer l’avenir.

« On veut une étude de marché pour faire des nouveaux produits avec la machine numéro 9 ou avec la 10 », souligne le président du syndicat, Jean-Pierre Rivard, car même avant la pandémie, les commandes étaient déjà en baisse de 30 %.

Outre la baisse de la demande et la compétition entre entreprises, les usines se compétitionnent entre elles. L’usine d’Alma a ainsi perdu un gros contrat de 12 000 tonnes de papier pour la production d’annuaires médicaux américains à une autre usine de PFR, à Calhoun, au Tennessee. « Nos dirigeants manquent de vision, ajoute-t-il. On doit voir la crise comme une opportunité. »

Selon ce dernier, il existe une fenêtre d’occasion pour transformer une machine à Alma afin de produire des emballages alimentaires, car les investissements nécessaires sont assez faibles.

Stéphan Larivière, chercheur industriel chez FPInnovations, un institut de recherche en foresterie, croit lui aussi qu’il existe un beau potentiel de conversion de machines à papier pour la production de produits d’emballage. « Pourquoi le papier de toilette est-il emballé avec du plastique quand on pourrait utiliser un emballage de papier spécialisé ? », demande-t-il.

Selon ce dernier, l’industrie peut non seulement produire des emballages avec une source renouvelable, mais elle est aussi capable de produire des additifs, comme la fibre de cellulose pour remplacer toute sorte de produits de plastique.

Domtar mise pour sa part sur le service client, assurant la gestion des inventaires de papier et la livraison partout en Amérique du Nord en moins de 24 heures, remarque Luc Bouthillier. L’entreprise s’est aussi diversifiée en investissant dans la nanocellulose cristalline, il y a près de 10 ans.

Jusqu’à maintenant, cet investissement n’a pas encore porté ses fruits, car il faut plusieurs années pour développer de nouveaux marchés. « La transition énergétique va s’accélérer et le besoin pour des matériaux légers et résistants va s’accentuer dans l’industrie du transport », croit toutefois Luc Bouthillier.

De son côté, Papier Rolland, qui produit aussi des emballages alimentaires, a su se démarquer en assurant la plus faible empreinte écologique à ses clients.

Selon Luc Bouthillier, Papiers White Birch est le « joker dans le paquet de cartes ». « Les analystes misaient sur la fermeture de l’entreprise et de ses trois usines québécoises, il y a dix ans, mais contre toute attente, le fonds d’investissement Black Diamond a décidé de les garder en marche en se concentrant sur du papier commercial et en misant sur un marché planétaire », dit-il.

Avec un marché qui évolue aussi rapidement, il est difficile de faire des pronostics, mais tous les experts interviewés s’entendent pour dire que des changements majeurs sont à prévoir au cours des prochaines années.

L’usine de Dolbeau-Mistassini de Produits forestiers Résolu produit des rouleaux de papier.

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OPTIMISER L’UTILISATION DES SOUS-PRODUITS

Contrairement à la croyance populaire, on ne sauve pas des arbres en consommant moins de papier, martèle Claude Villeneuve, directeur de la Chaire en éco-conseil à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

Étant donné que l’on fait des morceaux de bois carrés avec des arbres ronds, l’industrie génère des sous-produits, qui prennent la forme de copeaux, d’écorces et de bran de scie. Ce sont les copeaux issus du sciage qui sont utilisés en très grande majorité pour fabriquer le papier.

Malgré tous les avantages des produits tirés du bois, qui sont renouvelables et qui captent le carbone, les mauvais usages de la ressource ne sont pas justifiés, comme c’est le cas avec la production du Publisac, dit M. Villeneuve. « C’est un produit à usage unique. L’immense majorité du contenu ne sert à personne et sa production impose une charge sur les services municipaux en fin de vie », justifie-t-il.

Alors que Montréal évalue le modèle de distribution du Publisac, plusieurs politiciens et syndicats sont venus à sa défense au Saguenay–Lac-Saint-Jean pour défendre les emplois en région. « L’idée de produire des circulaires pour faire marcher une papeterie, c’est un peu comme laisser rouler son pick-up pour encourager l’industrie des sables bitumineux », soutient Claude Villeneuve.

Chaque semaine, 3,3 millions de Publisac sont livrés au Québec, ce qui représente 80 000 tonnes de papier. Si la production de circulaires diminue, d’autres marchés devront être développés pour écouler les copeaux de bois, qui représentent un revenu important pour les scieurs.

Les papetières devront se tourner vers la production de bioproduits, d’énergie et de molécules à valeur ajoutée, soutient Claude Villeneuve. Reste à convaincre les investisseurs que le marché est mûr et qu’il est possible de créer de la valeur ajoutée avec des produits d’avenir. « On a besoin d’une histoire économique qui se tient malgré un prix de référence bas, basé sur le pétrole », dit-il, en espérant que les produits renouvelables, comme ceux issus du bois, pourront éventuellement remplacer les produits pétroliers.


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