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Forêts: Québec laissera-t-il tomber l’aménagement écosystémique?

15 février, 2024  par Guillaume Roy. Initiative de journalisme local



Plusieurs questions importantes seront discutées cette semaine alors que s’amorcent les Tables de réflexion sur l’avenir des forêts. Une d’entre elles posera sur l’avenir de l’aménagement écosystémique. Doit-on modifier le régime actuel pour faire face aux changements climatiques ou faut-il revoir le régime au complet?

«Tout est sur la table», a mentionné Maïté Blanchette Vézina, la ministre des Ressources naturelles et de la Faune lors d’une entrevue à Radio-Canada. «Une des choses que le forestier en chef mentionnait, c’est que l’aménagement écosystémique comme on le fait en ce moment, qui protège l’écosystème actuel, ce n’est pas adapté si on veut s’adapter aux changements climatiques. Il faut faite en sorte que nos forêts s’adaptent, changent, migrent vers d’autres types de forêts», a-t-elle ajouté en parlant d’aménagement forestier de résilience.

Alors que le Québec vient de connaître une saison de feux de forêt historique, s’adapter aux changements climatiques fait partie des priorités de la ministre, tout comme la protection du caribou forestier ainsi que l’atteinte de l’objectif de protection de 30 % du territoire d’ici 2030. Dans le document envoyé aux participants des Tables de réflexion sur l’avenir des forêts, voici la question posée par le MRNF. «Comment l’approche d’aménagement des forêts devrait-elle être adaptée pour qu’elles soient plus résilientes face aux changements climatiques ?»

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Vers un aménagement de résilience ?

Christian Messier, professeur en aménagement forestier et en biodiversité à l’Université du Québec en Outaouais et à l’Université du Québec à Montréal, ainsi que titulaire de la Chaire du Canada sur la résilience des forêts face aux changements globaux, fait partie des promoteurs du changement. «J’ai eu plusieurs rencontres avec la ministre pour la convaincre de changer de régime pour mettre en place un aménagement de résilience», dit-il.

Selon le gouvernement du Québec, l’aménagement écosystémique se définit comme suit : «Ce type d’aménagement a pour objectif de veiller au maintien des principaux attributs et des principales fonctions écologiques des forêts naturelles dans le but de favoriser la santé de l’écosystème et sa biodiversité.»

Le concept d’aménagement écosystémique n’est pas mauvais en soi, mais il ne convient pas dans un contexte de changements globaux qui transforment l’écosystème en question, ajoute-t-il. Par exemple, un règlement du régime forestier exige le maintien de la même composition des forêts pour les 150 prochaines années, doit être changé.

Le climat, les feux, les sécheresses, les insectes, les maladies et les espèces envahissantes transforment nos forêts rapidement. «On doit vivre avec l’idée que nos forêts vont changer», note Christian Messier. On peut ne rien faire et subir les impacts négatifs ou agir pour les minimiser les impacts négatifs.»

Christian Messier propose de diversifier les forêts en augmentant les groupes et les traits fonctionnels des arbres. Autrement dit, il propose de choisir des arbres aux capacités complémentaires en ce qui a trait aux besoins en eau, à la résistance aux feux et aux maladies pour nommer quelques exemples.

«L’aménagement forestier, c’est un investissement des humains pour augmenter, optimiser et maximiser les services écosystémiques, qu’une forêt peut rendre à l’humanité», estime Claude Villeneuve, biologiste et titulaire de la Chaire en éco-conseil à l’Université du Québec à Chicoutimi. Selon ce dernier, les forêts anciennes qui ont évolué dans un climat beaucoup plus froid seront très mal adaptées au climat qui prévaudra en 2050. Il faut donc se poser des questions pour déterminer quels services écosystémiques la société souhaite maintenir.

François Laliberté, le président de l’Ordre des ingénieux forestiers du Québec, est conscient que plusieurs acteurs se demandent si l’aménagement écosystémique est toujours pertinent dans un contexte de changement climatique. «Il y a encore beaucoup d’incertitudes, dit-il. Il y a des gestes à poser pour rendre les forêts plus résilientes, qui peuvent être compatibles avec la définition de l’aménagement écosystémique, du moins partiellement».

Ce dernier estime qu’on ne peut pas appliquer la définition de l’aménagement écosystémique sans nuances, car le climat et les forêts vont changer. «Ça nous oblige à penser en dehors de la boîte et ça ouvre un tas de possibilités», se réjouit-il.

Peu importe les décisions qui seront prises, le régime forestier devra être plus flexible, pour s’adapter plus rapidement à de nouvelles réalités. «Dans notre domaine, on aura besoin de plus de latitude et de responsabilités professionnelles pour essayer des choses».

Adapter l’aménagement écosystémique ?

Selon Yan Boucher, professeur en écologie et aménagement forestier à l’UQAC et co-directeur du Centre de recherche sur la Boréalie, il faut continuer de s’inspirer des écosystèmes naturels tout en tenant compte des modifications du climat pour maintenir la résilience des forêts. «Dans certains cas, il faudra aider la forêt à s’adapter, mais il ne faut pas jouer aux apprentis sorciers, dit-il. L’humain a un rôle à jouer et on aura des compromis à faire pour tenir compte des changements climatiques et de la structure des forêts naturelles.»

Mathieu Béland, analyste forêt chez Nature Québec, estime qu’il faut maintenir le concept d’aménagement écosystémique et l’adapter aux changements climatiques. «Ça serait une grave erreur d’enlever toutes les cibles d’aménagement écosystémique sous prétexte des changements climatiques», dit-il, en ajoutant qu’un groupe d’experts a publié un rapport pour adapter l’aménagement écosystémique au contexte climatique en 2017.

Ce dernier craint que l’aménagement écosystémique soit sacrifié pour abaisser la cible de protection des vieilles forêts, ce qui viendrait libérer un grand volume de bois. Le Forestier en chef a d’ailleurs souligné en 2020 que la contrainte des vieilles forêts limite la récolte d’un grand volume de bois. «On doit conserver les cibles de protection des vieilles forêts» estime Mathieu Béland.

Alain Branchaud, le directeur général de la SNAP Québec, estime que le régime actuel ne fonctionne pas, que ce soit pour les industriels ou pour la protection de la biodiversité. Pour amener un regard neutre, ce dernier endosse la proposition de créer un Observatoire national de la foresterie, tel que formulé par une soixantaine de chercheurs du Centre d’étude sur la forêt.

Préserver les forêts ou les services écosystémiques ?

Dans bien des cas, la protection de forêts sans intervention humaine ne permettra pas de préserver les services écosystémiques rendus par la forêt, croit Christian Messier. Le concept de forêt naturelle soustraite des influences humaines ne tient plus, car tous les écosystèmes sont influencés par les actions humaines, à cause des changements climatiques, des microplastiques et des espèces envahissantes.

«Quand on protège un écosystème, on ne le soustrait pas des influences humaines et les influences indirectes peuvent détruire ce qu’on voulait protéger», note l’expert dans la résilience des forêts face aux changements globaux.

Si un risque menace une forêt ou ses fonctions, il faut intervenir pour augmenter sa résilience, dit-il. «Ça ne veut pas dire de couper toute la forêt, mais plutôt de créer un réseau d’aménagement de nouvelles espèces, sur 5, 10 ou 15% d’un territoire pour que la forêt puisse être plus résiliente et qu’elle puisse se réorganiser après une perturbation. Un projet de recherche est notamment en cours pour déterminer à quels endroits de telles interventions devraient être faites pour optimiser les retombées.

Christian Messier est bien conscient que ses idées peuvent paraître radicales. Il ouvre même la porte à intervenir dans des aires protégées comme dans le parc de la Mauricie, soulignant que plusieurs experts dans le monde entier estiment que l’écologie d’intervention fait partie de la solution pour s’adapter aux changements climatiques.


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