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L’aménagement écosystémique des forêts, ça marche

4 mai, 2023  par Maxime Bilodeau



Aménager les forêts de manière à maintenir leur état proche de celui des forêts naturelles est bon à la fois pour l’environnement, mais aussi pour l’économie et la société, affirment des scientifiques lors d’un récent congrès.

C’était il y a dix ans, déjà. En 2013, le gouvernement du Québec introduisait un nouveau régime forestier considéré à l’époque comme l’un des plus rigoureux au monde. L’État prenait en effet le virage de l’aménagement durable des forêts, assumant ainsi pleinement son rôle de gestionnaire du domaine forestier public.

Une décennie plus tard, quel bilan peut-on dresser de l’aménagement durable des forêts? Permet-il vraiment de « maintenir ou d’améliorer la santé à long terme des écosystèmes forestiers, afin d’offrir aux générations d’aujourd’hui et de demain les avantages environnementaux, économiques et sociaux que procurent ces écosystèmes », comme le vise le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF)?

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Ces questions – et plusieurs autres – ont été débattues à l’occasion de la plus récente édition du Carrefour Forêts, à la fin avril dernier. Des spécialistes de tous les horizons ont tour à tour pris la parole lors du colloque intitulé L’aménagement durable des forêts : 10 ans de mise en œuvre, auxquels ont participé plusieurs des 1100 congressistes.

Cadre plus complet

C’est à Timo Kuuluvainen, professeur au Département des sciences forestières de l’Université d’Helsinki, en Finlande, qu’est revenu l’honneur de casser la glace. Le conférencier principal a présenté les conclusions d’un récent article savant dont il est coauteur. De nature fondamentale, cette étude compare la gestion forestière basée sur les perturbations naturelles (les feux de forêt, par exemple) avec deux approches similaires, quoique plus conventionnelles.

L’expert s’est exprimé sur la situation de la forêt boréale du nord de l’Europe, sur laquelle portent ses travaux. Même si le « cadre réglementaire est particulièrement sévère » dans cette région du monde, il y déplore la disparition des vieilles forêts depuis plus d’un siècle, surtout dans les latitudes les moins septentrionales. « Nous n’avons presque plus de forêts naturelles de référence sur lesquelles baser nos analyses », a-t-il souligné.

L’approche de gestion durable qu’il préconise, à la lumière des conclusions de ses recherches, part du principe que les perturbations naturelles sont un processus essentiel au maintien de la diversité des structures, des espèces et des fonctions des écosystèmes forestiers, lesquels fournissent en retour de précieux (et nombreux) services à l’humain. Un point de première importance alors que les changements climatiques se font de plus en plus sentir.

« Il est difficile de comprendre et prédire le comportement d’un système complexe comme la forêt boréale. Même s’il y a encore beaucoup de zones grises, la gestion forestière basée sur les perturbations naturelles semble néanmoins être la meilleure police d’assurance afin de permettre à la forêt de s’adapter dans le futur », a indiqué Timo Kuuluvainen, tout en plaidant du même souffle pour des solutions uniques d’aménagement forestier.

Au Québec

Il s’agit de l’approche privilégiée dès l’entrée en vigueur du nouveau régime forestier québécois, a ensuite raconté Annie Belleau, qui travaille au MRNF en Abitibi-Témiscamingue où elle supporte les équipes pour la mise en œuvre d’un aménagement durable des forêts. « Toutes les équipes régionales ont dû adapter à leur réalité propre les principaux enjeux écologiques qui doivent être pris en compte dans l’aménagement écosystémique », a-t-elle expliqué.

Ces enjeux avaient été préalablement abordés par son collègue Maxime Renaud, directeur de la Direction de l’aménagement et de l’environnement forestiers au MRNF. Leur traduction en objectifs d’aménagement durable, comme de favoriser la complexité au sein des peuplements de façon à prévenir leur homogénéisation, permet de « se rapprocher de ce à quoi ressemblaient les forêts du passé », ce que stipule d’ailleurs le point 2 de l’article 4 de Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier.

Le passage de la théorie à la réalité peut toutefois s’avérer difficile. Annie Belleau a témoigné des trésors d’inventivité déployés par les directions régionales du MRNF pour arriver à leurs fins. « L’information disponible pour réaliser les analyses d’écarts, lesquels sont au centre de l’aménagement écosystémique des forêts, était mince, voire indisponible. Il nous a donc fallu développer des outils maison », a révélé celle qui juge que le test du passage du temps « est encore à faire ».

Prospective

Plusieurs défis attendent les fonctionnaires du MRNF dans les années à venir. Et pas seulement en ce qui a trait à la protection des différents types de milieux humides et riverains! Marie-Laure Lusignan, étudiante à la maîtrise en sciences forestières au Département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval, a par exemple fait écho à la relation profonde – et incomprise des allochtones – des membres de la communauté atikamekw de Wemotaci avec leur territoire, le Nitaskinan.

« Dans leur vision holistique du monde, il y a interdépendance entre les enjeux sociaux et économiques, les frontières sont dynamiques plutôt que statiques et les familles, par l’entremise de leurs chefs, assument un rôle important de gouvernance, a-t-elle résumé. Mieux comprendre l’occupation autochtone du territoire serait utile dans un contexte de planification du développement de ce dernier.

Les changements climatiques représentent un autre défi. Yan Boulanger, chercheur en écologie forestière au Service canadien des forêts, a justement piloté une évaluation régionale intégrée des changements climatiques sur les forêts du Québec. L’objectif de ce portrait de la forêt du futur : identifier les sources spécifiques de vulnérabilité afin de mettre au point différentes stratégies d’adaptation.

Ces travaux, qui reflètent les conséquences d’un réchauffement climatique de 4,5 °C d’ici 2100 (RCP 4.5), font état « d’impacts très importants » à prévoir sur les paysages forestiers, les pratiques traditionnelles, la biodiversité et divers autres aspects du secteur forestier. Le statu quo pourrait mener à « plus de perturbations cumulatives » et « d’accidents de régénération » a soutenu celui qui insiste aussi sur la nécessité de prendre en compte les divers contextes régionaux.

Pierre Drapeau, professeur au département de Sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal, a bouclé la boucle avec un exposé critique sur l’incapacité des cibles actuelles et futures de rétention de forêts âgées à maintenir la diversité faunique. Selon lui, il faut de toute urgence diminuer la pression de récolte actuelle sur la forêt naturelle et augmenter ces cibles. « Les solutions existent déjà, il suffit de les mettre en œuvre », a-t-il insisté.

 


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