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Feux de forêt : quel pourcentage de la bonification des taux est prévu pour les forestiers?

26 octobre, 2023  par Par Louis Dupuis, économiste, consultant et ancien banquier spécialisé dans le financement de machinerie lourde



Après un arrêt forcé des opérations forestières en raison des feux et de la fermeture de la forêt pendant plusieurs semaines, de nombreux entrepreneurs forestiers (surtout en Abitibi, dans le nord du Lac-Saint-Jean, à Chibougamau-Chapais, en Haute-Mauricie) travaillent dans des secteurs de bois brûlés sans trop savoir quelle sera leur rémunération finale.

De fait, un grand nombre de forestiers ont foncé tête baissée dans la récolte du bois brûlé.

Ils ont toutefois constaté l’augmentation appréciable de leurs coûts pour opérer dans ces secteurs ravagés par les incendies, notamment en raison de la suie qui colle partout sur les machineries. Celles-ci nécessitent donc des changements de filtres et d’huiles beaucoup plus fréquents, et la durée de vie du moteur, des pompes et autres composantes risquent fort probablement d’être réduites. De plus, un grand nettoyage hebdomadaire des équipements est essentiel, même obligatoire par les assureurs. Les forestiers ont par ailleurs observé qu’un sol dénudé de végétation est beaucoup plus abrasif et qu’il use les tractions prématurément. Parallèlement, les forestiers ont remarqué une production à la baisse en raison du temps additionnel nécessaire pour faire la sélection des tiges saines, et pour rejeter celles trop carbonisées.

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Par conséquent, ils ont enregistré une nette diminution du nombre de mètres cubes récoltés par hectares (m³/ha), et par le fait même une décroissance des revenues. Il est indéniable que certains entrepreneurs travaillent depuis plusieurs semaines à perte, mais ces forestiers se sont accrochés à l’espoir de bénéficier de l’aide gouvernementale annoncée pour la grande corvée de récupération des bois brûlés.

En effet, suite aux feux de forêt historiques au Québec de cet été, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) a publié début septembre, sur le site du Bureau de Mise en Marché des Bois (BMMB) la mise à jour du programme de: Détermination de l’aide financière dans le cadre du Programme d’investissement dans les forêts publiques affectées par une perturbation naturelle ou anthropique 2023-2024 à 2025-2026 (1). Ce plan accorde une aide financière de la forêt à l’usine, à toute personne ou tout organisme qui réalisera la récupération du bois, à la suite d’une perturbation naturelle ou anthropique causant une destruction importante d’un massif forestier, comme lors d’incendies de forêt.

Le ministère a publié, toujours sur le site du BMMB, des Grilles de taux applicables à la récupération des bois affectés par une perturbation naturelle où vous pourrez notamment retrouver via le lien ci-dessous la Grille d’aide 2023-2024 applicable pour les bois récupérés dans les superficies affectées par le feu – version 21 juillet 2023 (2).

La première des choses à savoir au sujet de ce programme pour les entrepreneurs forestiers est que cette aide financière est versée essentiellement aux bénéficiaires de garanties d’approvisionnement (BGA) et aux enchérisseurs gagnants (acheteurs) de lots mis en vente aux enchères par le BMMB, lorsque la perturbation (le feu dans ce cas-ci) est survenue après la vente.

Il faut également savoir que cette aide est destinée aux 191 zones de tarification forestière du BMMB qui ont été affligées par les incendies de forêt.

Pour identifier et situer les différentes zones forestières du Québec, une carte est disponible en format PDF (3) sur le site du BMMB, de même qu’une carte interactive des zones de tarification où vous pouvez zoomer pour mieux localiser les différents secteurs de coupe (4).

Dans son analyse et dans la détermination des montants de l’aide financière, le MRNF inclut clairement une certaine proportion pour les opérations de récolte réalisées par les entrepreneurs forestiers, et ce, afin de compenser la perte de production et de couvrir les coûts additionnels pour opérer dans des secteurs de bois brûlés. Le pictogramme qui apparaît à la page 4 du manuel de référence du programme cité plus haut (voir image) le démontre très bien.

Afin d’en savoir davantage sur les modalités du programme, nous avons communiqué avec les responsables de son élaboration au ministère, et ce pour nous faire expliquer les méthodes de calculs et la répartition de l’aide entre les différentes fonctions affectées dans le processus de récupérations des bois brûlés.

Nous avons ainsi eu la confirmation, sous forme de « moyennes générales approximatives », car aucune ventilation détaillée n’est disponible sur le site du BMMB, que l’aide se répartit généralement grosso modo comme suit :

  • 40% pour la transformation des bois (à l’usine directement);
  • 36% pour les opérations de récolte (à l’entrepreneur forestier directement, plus particulièrement pour l’abattage et le façonnage);
  • 24% pour compenser la baisse des volumes récoltés par kilomètre de chemins forestiers construits, les dépenses additionnelles pour la supervision, les campements additionnels nécessaires, etc. (normalement ces coûts sont assumés directement par les BGA et les acheteurs des lots du BMMB).

Par ailleurs, le ministère estime qu’il n’y a pas de coûts additionnels en raison des feux pour la construction et l’entretien des chemins forestiers, ni pour le chargement et déchargement des billots, ni pour le transport des billots en forêt.

Maintenant, en utilisant les moyennes générales approximatives, prenons un exemple pour illustrer le montant estimé de compensation qui est calculé par le ministère pour la récolte dans un secteur affecté par les feux de forêt. Prenons un secteur bien présent dernièrement dans l’actualité, soit celui de Normétal en Abitibi.

La première étape est d’identifier le numéro de la zone de tarification du BMMB. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit de la Zone 890.

La deuxième étape est de relever l’aide financière attribuée à la Zone 890 dans la Grille d’aide 2023-2024 applicable pour le bois récupéré dans les superficies affectées par le feu – version 21 juillet 2023. Pour la Zone 890 l’aide financière ($/m³) est la suivante (ci-dessous surlignée en jaune):

Conséquemment, nous pouvons déterminer les montants d’aide financière qui ont été estimés pour les opérations de récolte par le ministère, qui représente grossièrement plus ou moins 36% de l’aide financière totale. Toujours pour notre exemple de la Zone 890, l’aide financière pour la récolte serait la suivante :

Ainsi, selon les calculs du ministère, en utilisant la « moyenne générale approximative » pour la récolte, l’aide financière applicable serait donc de 3,69$/m³ pour les sapins, épinettes et pins gris, ou 2,28$/m³ pour les autres résineux et les feuillus.

Ces tarifs seraient additionnés à la tarification « normale » pour le secteur en question. Ainsi si la tarification avant les feux était de, disons 23,00$/m³, pour les sapins, épinettes, pin gris ou 16,00$/m³ pour les autres essences, la rémunération avec l’aide financière calculée par le ministère devrait être respectivement de 26,69 $/m³ et de 25,28$/m³.

De plus, il faut aussi savoir que ce programme d’aide financière ne s’applique pas aux lots des secteurs touchés par les feux de forêt qui ont été, sont, et seront mis aux enchères par le BMMB après les feux, et ce, considérant que les prix minimums estimés par le BMMB sont beaucoup plus bas et prennent en compte les coûts additionnels et les pertes de productivité à tous les niveaux de la forêt à l’usine. Le ministère anticipe donc que les acheteurs compenseront adéquatement les entrepreneurs forestiers en récolte.

En conclusion, si l’objectif du gouvernement est d’aider les entrepreneurs forestiers de récolte travaillant à la récupération des bois brûlés, nous croyons que dans un souci de transparence, d’équité et d’éviter une mauvaise interprétation, le MRNF devrait publier officiellement sur le site du BMMB une grille de taux détaillée et ventilée pour les différentes interventions, dont la récolte, pour chacune des zones admissibles au programme d’aide financière.

Le MRNF devrait également effectuer un suivi pour s’assurer que l’aide qu’il a calculé se rend bien en totalité jusqu’à ceux qui exécutent les travaux, car pour l’instant, ça ne semble pas être le cas, ou si c’est le cas, ça l’est de façon partielle.

Ceci est d’autant plus important considérant qu’un grand nombre d’entrepreneurs forestiers sont entrés dans cette crise déjà affaiblit par l’augmentation importante des coûts de dernières années, qu’ils venaient tout juste de reprendre les opérations, fin mai début juin, après la période coutumière d’arrêt printanier d’une durée de 4 à 8 semaines où ils réinvestissent significativement dans la maintenance et l’entretien de la machinerie, et qu’avec la fermeture de la forêt en raison des feux, ils ont subi des pertes d’opérations substantielles en ayant à absorber des coûts fixes appréciables sans avoir de revenus.

Les forestiers ont plus que jamais besoin de toute l’aide financière disponible, surtout ceux qui participent à la grande corvée de récupération du bois brûlé. Sans eux il sera impossible de récupérer le bois qui a encore une valeur économique et le transformer en matériaux de construction. Dès lors, tout ce qui ne sera pas récupéré pourrira sur place, libérera le CO2 qu’il a emmagasiné dans sa phase de croissance, contribuera au réchauffement climatique, et le gouvernement n’atteindra pas ses cibles de réduction des émissions des GES.


Références

 


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