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En route vers une vallée du biochar?

24 septembre, 2020  par Guillaume Roy



Avec la chute de la demande de papier, l’industrie forestière doit trouver de nouveaux débouchés pour les copeaux. Pour stimuler l’essor du produit, Biochar Boréalis et Agrinova ont conclu un partenariat pour développer la vitrine technologique en biochar et bioproduits, qui permet de réaliser des projets de recherche et des essais précommerciaux. Leur rêve : créer la vallée du biochar.

BIOCHAR BORÉALIS : UNE PÉPINIÈRE D’ENTREPRISE POUR DÉVELOPPER LE BIOCHAR

Alors qu’Agrinova s’occupe du volet recherche sur le biochar, Biochar Boréalis est la bougie d’allumage qui rassemble les joueurs importants pour développer de nouveaux marchés et pour faire du démarchage d’affaires.

Des tests de produits.

« D’ici trois ans, on pense qu’un premier projet d’envergure industrielle viendra s’installer dans la région », lance André Benoit, le vice-président au développement de Biochar Boréalis, en faisant la visite de la vitrine technologique en biochar et bioproduits.

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À l’entrée de l’usine, on retrouve de grands sacs de copeaux de différentes essences de bois de la forêt boréale. Dans un premier temps, la matière doit être traitée et séchée avant d’entrer dans un des deux pyroliseurs, qui transformera les copeaux en biochar, en biohuile et en syngaz. Selon les besoins des entreprises qui souhaitent faire des tests, il est possible d’utiliser le petit pyroliseur, d’une capacité de 60 kg à l’heure, pour faire des tests de caractérisation de produits, ou encore le gros pyrolyseur, d’une capacité de 800 kg à l’heure, pour faire des projets de précommercialisation.

Des tests de produits.

Un peu plus loin, on retrouve un laboratoire à la fine pointe de la technologie, la « clé » du développement pour un produit, selon André Benoit. « Ça nous permet d’assurer une stabilité des produits », dit-il. Étant donné que chaque essence de bois et chaque recette de cuisson produit des caractéristiques différentes, la stabilité du produit est essentielle pour rassurer les clients qui souhaitent utiliser ce produit émergent.

À l’origine, c’est la Filière forestière des Premières Nations du Québec (FFPNQ) qui avait réalisé une étude sur le projet, qui a mené au partenariat entre Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (le conseil de bande de Mashteuiatsh) et la MRC du Domaine-du-Roy, pour la création de Biochar Boréalis en 2016.

Biochar.

« À terme, on souhaite développer la vallée du biochar », remarque André Benoit, qui souhaite voir émerger plusieurs entreprises de transformation du biochar dans la région. « Le biochar peut devenir la matière première d’un autre produit et à chaque étape tu fais des produits à valeur ajoutée », dit-il.

En attendant d’arriver là, la vitrine technologique est en place pour développer des projets, développer des produits et générer de petits volumes pour convaincre les investisseurs potentiels de lancer une usine commerciale.

La vitrine technologique a testé plusieurs essences de bois de la forêt boréale pour développer une foule de produits.

En ce moment, la vitrine technologique située dans le parc industriel de Mashteuiatsh est la plus grande du genre au Canada. « Ça va nous permettre d’être des leaders dans le domaine », estime André Benoit.

Jusqu’à maintenant, plus de 11 millions de dollars ont été investis dans le projet, dont 3,7 M$ pour le bâtiment, qui est la propriété de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, et 7,91 M$ pour les équipements, qui appartiennent à Agrinova.

Entrée de l’usine ou le matériel est traité avant d’entrer dans le pyrolyseur.

Valoriser les copeaux

L’Alliance Bois du Saguenay-Lac-Saint-Jean est partenaire de Biochar Boréalis, car l’émergence du biochar permettra de trouver de nouveaux débouchés pour les copeaux, alors que la demande pour le papier est en chute constante. « Produire du biochar permet de valoriser les résidus forestiers, ce qui aidera les petites scieries indépendantes à écouler leurs copeaux », remarque André Benoit.

Pierre Marineau, le directeur général de l’Association des producteurs de copeaux de bois du Québec, voit d’un bon œil les projets de Biochar Boréalis. « Il va falloir trouver plusieurs avenues pour remplacer le volume de copeaux par le secteur papetier », dit-il.

Le gros pyrolyseur permet de transformer 800 kg par heure.

À chaque fois qu’un arbre est scié, près de 50 % de l’arbre est transformé en planche. Reste alors 50 % de sous-produits sous la forme d’écorce, de sciure, de planure et de copeaux. Pour maintenir l’équilibre économique des scieries, il faudra trouver des alternatives économiques viables qui permettent de générer autant d’argent que les copeaux à l’heure actuelle, qui se vendent à environ 100 dollars la tonne.

Outre les projets en agriculture, ce dernier estime que le biocharbon pourrait remplacer les carburants fossiles dans les usines métallurgiques, comme chez Elkem Métal. De plus, des projets de production de biocarburants pourraient aussi permettre de valoriser les sous-produits du bois, dit-il.

Le petit pyrolyseur permet de faire des tests pour connaitre les caractéristiques des produits.

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QU’EST-CE QUE LE BIOCHAR?

Le biochar est un charbon produit avec une source végétale, comme les résidus de bois, mais on peut aussi en faire avec des résidus agricoles. Selon les essences de bois utilisées, il faut compter de 3 à 4 tonnes de copeaux de bois pour produire une tonne de biochar.

Pour y arriver, il faut faire chauffer les copeaux à très haute température, entre 400 et 800 °C, en l’absence d’oxygène, un procédé appelé pyrolyse. Sans oxygène, le bois ne brûle pas et le carbone se concentre dans le biochar. Selon les données fournies par Agrinova, une tonne de biochar représente 2,7 tonnes d’équivalents CO2.

La pyrolyse permet de décomposer chimiquement le bois en trois différents produits, le biochar, les biohuiles et le syngaz.

Le biochar peut être valorisé en agriculture, mais il peut aussi être ajouté à du plastique ou du béton ou encore dans l’industrie cosmétique. On peut l’utiliser dans les barbecues ou comme source d’énergie industrielle. Lorsqu’il est activé, le charbon a une structure plus poreuse, qui permet de filtrer l’air ou l’eau.

Les biohuiles peuvent être utilisées comme source de biocarburants, comme additif, pour faire du goudron, des solvants organiques, des pesticides, des cosmétiques ou des arômes naturels.

Le syngaz est moins intéressant d’un point de vue de la commercialisation, mais il peut être brûlé dans un procédé industriel comme source de chaleur.

Des copeaux de bois, du biochar, de l'huile pyrolitique et du vinagre de bois.

Développer le potentiel du biochar en agriculture

Terreaux horticoles, biostimulants, bioinsecticides, l’alimentation des vaches pour réduire la production de GES, revégétalisation des sites miniers, Agrinova étudie plusieurs pistes porteuses pour favoriser l’essor du biochar en agriculture.

En ajoutant du biocharbon dans le sol, on y ajoute de la matière organique qui est en mesure de mieux retenir l’eau dans le sol. « Le biochar améliore la porosité du sol et il peut absorber plusieurs fois son poids en eau », explique Régis Pilote, chercheur chez Agrinova et responsable du développement des projets sur le biochar. Cette caractéristique permet de mieux résister aux stress hydriques.

Biochar.

Le biochar permet aussi d’améliorer la fertilité des sols, car il retient les nutriments et il nourrit les bactéries dans le sol, explique le chercheur. Et ce n’est pas tout, car le biochar permet aussi de capter le carbone à long terme dans le sol. « Le biochar provenant de matériel ligneux est constitué grosso modo à 90 % de carbone stable qui peut persister des décennies dans le sol, explique Régis Pilote. C’est donc un excellent moyen de séquestrer du carbone dans les sols. »

Toutes ces caractéristiques laissent présager des utilisations fortes intéressantes dans le milieu agricole. Pour l’instant, Agrinova concentre ses recherches sur les débouchés les plus porteurs à court terme, dont le développement de terreaux horticoles pour la production biologique en serre et pour la production de cannabis, soutient Régis Pilote. « Le biochar peut remplacer la perlite et la tourbe », dit-il, en soulignant que le biochar offre une option plus écologique. En plus de la capacité à bien retenir l’eau, le biochar permettrait de réduire la quantité d’engrais nécessaire, laissant présager des avantages économiques intéressants.

Pour valider ces hypothèses, une autre série d’essais en serre sera réalisée cet automne, remarque le chercheur. « On veut optimiser le produit en testant des biochars produits avec différentes essences de bois dans différentes proportions pour voir lesquels sont les plus efficaces », dit-il.

Le biochar est aussi prometteur pour la production de plants forestiers et Agrinova travaille avec la Pépinière Boucher, de Saint-Ambroise, sur le sujet. « La survie des plantules d’épinette est accrue lorsqu’elles sont transférées en milieu forestier parce que la capacité du biochar a retenir l’eau augmente la résistance des plants lorsqu’il y a un stress hydrique », remarque Régis Pilote.

Végétalisation avec de l’aulne crispé de résidus miniers amendés avec du biochar. 

Agrinova travaille aussi avec Nemaska Lithium pour revégétaliser des parcs à résidus miniers, car le biochar permet de fertiliser les sols, de retenir et stabiliser les métaux et de faciliter le drainage de l’eau.

Lors de la production du biochar, on produit aussi des biohuiles desquelles on peut extraire un vinaigre de bois. « En faible dose, le vinaigre de bois stimule l’activité microbienne et nourri la plante, explique Régis Pilote. À plus forte dose, on peut l’utiliser comme un bioherbicides ». Des projets de recherche laissent présager un bon potentiel de commercialisation, notamment pour la culture en régie biologique, note le chercheur.

Alimenter les vaches avec du biochar pour réduire les GES

Des chercheurs s’intéressent aussi au potentiel de réduire la quantité de méthane, un puissant gaz à effet de serre, émis par les vaches en ajoutant du biochar dans leur diète. « Des études ont démontré qu’en ajoutant de 200 à 400 grammes de biochar à la diète des ruminants, on peut réduire la quantité de GES émis de 10 à 20 % », explique Christiano Cortez, un chercheur chez Agrinova qui souhaite tester ce potentiel sur les vaches laitières.

Pour y arriver, le chercheur s’est associé au Consortium de recherche et innovations en bioprocédés industriels au Québec (CRIBIQ), à l’Université Laval, à Nutrinor, aux Producteurs de lait du Québec et à la Coop fédérée dans le cadre d’un projet de recherche de plus de 700 000 dollars.

Production de plants de tomates dans des terreaux avec différents taux d’incorporation du biochar.

Christian Cortez veut démontrer s’il est possible de réduire la production de méthane entérique dans le rumen, qui est libéré lorsque les vaches font des rots. « Les vaches produisent du méthane pour éliminer l’hydrogène et il semble que l’on puisse diminuer la quantité de méthane de 20 % dans danger pour la santé de la vache », dit-il.

Dans un premier temps, le chercher souhaite compléter des tests en laboratoire pour simuler la réaction dans l’appareil digestif. « On va tester les effets de différents types de biochar sur le liquide ruminal des vaches lors de la phase in vitro », explique-t-il. Si les résultats démontrent qu’il est possible de réduire les GES d’au moins 10 %, des essais sur des vaches pourraient être réalisés en 2021.

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