Opérations Forestières

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Que sait ChatGPT des entrepreneurs forestiers?

18 mai, 2023  par Par Luc LeBel, professeur d’opérations forestières, Université Laval



Les robots et l’intelligence artificielle changent déjà le domaine forestier de manière importante. Pensons à la foresterie 4.0, la détection des essences de bois et des défauts dans les planches, l’arrivée imminente des camions autonomes sur nos routes, de même que l’apport important des drones, qui réalisent les inventaires. Et ce n’est qu’un début.

Nouvel outil controversé, ChatGPT est un programme informatique alimenté par l’intelligence artificielle qui peut comprendre et générer du texte comme le ferait un humain. Il peut répondre à une variété de questions, générer du texte créatif et même coder des programmes informatiques et transforme déjà certains domaines tels que le droit, la finance, le journalisme ou l’enseignement. Qu’en est-il des opérations forestières, qui comprennent un fort volet terrain nécessitant des connaissances techniques et pratiques? L’information présente dans les livres  est généralement complémentaire à l’expérience terrain, qui demeure nécessaire à la comprehension du fonctionnement du secteur. Cela étant, Chat GPT peut-il fournir des réponses ajustées à notre réalité et donner des explications claires à des questions sur lesquelles j’ai étudié et passé de nombreuses années à chercher dans les ouvrages et sur les chantiers? Dois-je craindre pour ma pertinence, ma valeur ajoutée de professeur, mon emploi? !? Ma curiosité de professeur m’a évidemment amené à tester ChatGPT en lui soumettant une question posée dans un examen du niveau baccalauréat en opérations forestières.

« Entre 1980 et 1990, de nombreux opérateurs sont devenus « entrepreneurs » en achetant la machinerie de la compagnie forestière. Identifiez et expliquez quatre motivations liées à cette stratégie adoptée par les compagnies forestières. »

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Rédigée en quelques secondes, la réponse de l’IA est saisissante et lui vaut un A+!  Voici les quatre motivations données par ChatGPT auxquelles j’ai cru bon d’apporter certaines nuances en commentaire (LL).

(ChatGPT ) « Il y a plusieurs motivations pour les compagnies forestières d’avoir adopté la stratégie de vendre leur machinerie à leurs opérateurs pour devenir des « entrepreneurs » dans les années 1980 et 1990. Quatre de ces motivations sont les suivantes : »

1) Réduire les coûts de production

(ChatGPT) « Les compagnies forestières ont cherché à réduire leurs coûts de production en vendant leur machinerie à leurs opérateurs. En effet, les entrepreneurs peuvent travailler à des coûts inférieurs à ceux des compagnies forestières, car ils n’ont pas les mêmes coûts généraux tels que les salaires des cadres, les coûts de maintenance des machines et les dépenses administratives. »

(LL) Les entrepreneurs peuvent travailler à des coûts inférieurs? C’est peut-être qu’ils ne se paient pas un salaire de cadre pour leur rôle de chef d’entreprise. De plus, dans bien des cas, ils ne paient pas non plus le membre de leur famille qui fait la tenue de livres (16% selon le sondage UL-ForêtCompétence). Et c’est pareil pour la maintenance (en moyenne plus de 6 heures sur une semaine totalisant 59 heures de travail). Ce sont là des façons de réduire les frais généraux mais avec quelles conséquences ?

2) Augmenter la productivité ?

(ChatGPT) « Les entrepreneurs étaient souvent des opérateurs expérimentés et qualifiés qui connaissaient bien le travail en forêt et les machines nécessaires pour l’accomplir. En devenant des entrepreneurs indépendants, ils étaient en mesure de travailler plus efficacement et de maximiser leur productivité, ce qui bénéficiait également aux compagnies forestières. »

(LL) Cette réponse fait ressortir que la connaissance fine de l’exploitation, la motivation, la connaissance du terrain, des équipements ont permis aux entrepreneurs d’améliorer l’efficacité d’un chantier. J’ajouterais, en complément à la réponse de ChatGPT, qu’un tel gain en productivité est possible s’il y a collaboration et respect entre l’entrepreneur et son client (la compagnie forestière). Particulièrement en forêt publique, il faut ajouter à ce besoin de collaboration, les agents gouvernementaux responsable de la planification opérationnelle.

3) Une plus grande flexibilité :

(ChatGPT) « En vendant leur machinerie, les compagnies forestières ont pu se concentrer sur leur cœur de métier, c’est-à-dire la gestion forestière, tout en laissant les entrepreneurs prendre en charge la production de bois. Cela a permis aux compagnies forestières de gagner en flexibilité et de réagir plus rapidement aux fluctuations du marché. »

(LL) La réponse de ChatGPT sous-tend plusieurs éléments. À une certaine époque, de la fin des années 1980 au début 2000, la « la gestion forestière » était peut-être le cœur du métier des compagnies forestières. Leur évolution et l’évolution du régime forestier au Québec font en sorte que c’est moins le cas aujourd’hui. Cependant, ChatGPT ne se trompe pas en relevant le fait que de ne plus être propriétaires de centaines de machines forestières libère de certaines financières ou contractuelles. Il devient donc plus facile, dans une certaine mesure, de diminuer ou d’augmenter la production par la suppression ou l’ajout d’entrepreneurs. L’expérimentation, souvent coûteuse, de nouveaux procédés, équipements, ou méthode de récolte peut également être externalisée aux entrepreneurs.

4) Réduire les risques financiers :

(ChatGPT) « En vendant leur machinerie, les compagnies forestières ont transféré une partie des risques financiers associés à la production de bois aux entrepreneurs. Les entrepreneurs devaient maintenant gérer leur propre entreprise et prendre des décisions commerciales, ce qui impliquait des risques financiers et opérationnels. Cela a permis aux compagnies forestières de réduire leur exposition aux risques et de se concentrer sur leurs activités principales. »

(LL) Pour la compagnie, ne plus avoir des dizaines de millions de dollars d’immobilisations liés à la propriété d’équipements forestiers libère de nombreuses obligations et apporte une plus grande flexibilité financière. Diminuer les emprunts est particulièrement important en période d’inflation et de hauts taux d’intérêts, comme ce l’était au début des années 1980 et plus récemment.

Les quatre raisons amenées par ChatGPT lui auraient valu une excellente note dans mon cours, mais les avantages de faire exécuter la récolte par des entrepreneurs forestiers en remplacement des employés de la compagnie forestière ne se limitent pas au nombre de quatre. J’ai donc demandé à ChatGPT d’aller un peu plus loin et voici donc deux autres motifs rapportés par l’IA.

5) L’encouragement de l’entrepreneuriat local

(ChatGPT) « En vendant leur machinerie à leurs opérateurs, les compagnies forestières encourageaient l’entrepreneuriat local et favorisaient le développement de petites entreprises dans les communautés forestières. Cela pouvait contribuer à stimuler l’économie locale, à créer des emplois et à renforcer les liens avec la communauté. »

(LL) Mon expérience des régions forestières du Québec m’amène aussi à suggérer que les entrepreneurs forestiers injectent davantage dans les économies locales et les commerces de proximités que le faisaient les entreprises du temps des grandes opérations en régie (avant 1985). Le sondage de Forêtcompétences montre clairement l’essaimage entrepreneurial que réalisent les entrepreneurs forestiers du Québec.

6) Stimulation de la concurrence

(ChatGPT) « En vendant leur matériel, les compagnies forestières pouvaient encourager les entrepreneurs à concurrencer les uns les autres pour les contrats d’exploitation, ce qui pouvaient entrainer des prix plus bas pour les services. Cela pouvait également inciter les entrepreneurs à investir dans de nouveaux équipements pour améliorer leur productivité et leur compétitivité.»

(LL) Il y aurait beaucoup à dire autour de cette réponse. La concurrence est un incitatif à l’amélioration de la productivité et, généralement, à l’établissement de prix plus compétitifs. Mal contrôlée, elle peut aussi mener à un nivellement par le bas et à une érosion des conditions de travail. Les donneurs d’ouvrage sont inquiets lorsque le nombre d’entrepreneurs disponibles diminue. Contrairement à ce qui a prévalu entre les années 1980 et 2010, le nombre (ou le potentiel) d’entrepreneurs n’excède plus la demande pour leur service. Une nouvelle dynamique entre donneur d’ouvrage et entrepreneur s’établit et nous n’en connaissons pas encore toutes les implications.

Conclusion

La capacité de l’intelligence artificielle à comprendre la question posée, à repérer les sources de données et d’information pertinentes, puis à les synthétiser dans un texte cohérent est une prouesse technologique exceptionnelle. Cependant, ChatGPT est un algorithme qui ne détermine pas l’avenir et qui ne crée pas de nouvelles connaissances. Les réponses données par ChatGPT concernant les motivations ayant amené les compagnies à recourir aux entrepreneurs sont basées sur des informations disponibles sur le Web (articles scientifiques, rapport de recherche, actes de colloques) et pour être plus performante, l’IA doit être alimentée par l’action et l’expérimentation qui mènent à de nouvelles connaissances. Dans ce rôle, l’humain, les étudiants, leurs professeurs et les entrepreneurs sont irremplaçables. Ne nous y trompons pas, les robots et leur intelligence sont maintenant parmi nous et certaines choses ne seront plus jamais les mêmes. Cette technologie est perturbante, elle peut faire peur, mais je crois que, comme le GPS et comme le Lidar, nous y trouverons des avantages dont nous ne voudrons plus nous passer.


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