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L’industrie forestière réfléchit à son avenir

28 février, 2024  par Guillaume Roy. Initiative de journalisme local



Peut-on transformer nos forêts en fierté nationale en l’utilisant comme outil pour atteindre la carboneutralité tout en créant plus de richesse? C’est une des idées lancées lors de la rencontre de la Table de réflexion sur l’avenir de la forêt du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Selon les intervenants, il faudra également régionaliser la gestion forestière pour améliorer la planification, la prévisibilité et l’acceptabilité sociale, en plus de miser sur l’intensification forestière.

Le secteur forestier fait partie de la solution, car l’aménagement forestier peut augmenter d’au moins 10 % la quantité de carbone séquestré dans les forêts, selon un rapport d’expert produit en 2019, ajoute-t-il, mais cette solution est «boudée» pour l’instant.

Dans un premier temps, le secteur des terres doit être inclus dans le calcul de l’inventaire des GES au Québec pour quantifier l’effet de l’aménagement forestier sur le bilan carbone.

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De plus, l’augmentation de l’utilisation du bois dans la construction non résidentielle est un choix gagnant pour le climat et Québec doit en faire plus, ajoute Jean-François Boucher.

«Dans un monde où il faut construire, les produits du bois sont toujours les meilleurs produits d’un point de vue des GES , dit-il.

Claude Villeneuve, son collègue à l’UQAC, abonde dans le même sens. «Dans un cadre de lutte aux changements climatiques, on pourrait devenir des leaders et ramener cette fierté de notre forêt bien gérée, écologiquement productive et qui nous aide à faire partie de la solution plutôt que du problème», a lancé le professeur récemment retraité.

Redorer l’image du secteur forestier et de la gestion des forêts québécoise fait partie du rêve de plusieurs acteurs qui ont participé à la quatrième journée de réflexion sur l’avenir de la forêt, qui s’est tenue à Alma le 27 février.

La ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette-Vézina, était absente lors de rencontre organisée à Alma.  Un message qu'elle avait préenregistré par vidéo a été présenté à l'auditoire.

À titre de rappel, ces tables de réflexion ont été lancées par la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette-Vézina, qui était toutefois absente lors de rencontre organisée à Alma, pour lancer une réflexion globale sur l’aménagement de la forêt.

C’est Andrée Laforest, la ministre des Affaires municipales, qui a accueilli la soixantaine d’acteurs forestiers du Saguenay-Lac-Saint-Jean, dont des industriels, des élus, des représentants des Premières Nations, de groupes environnementaux, des syndicats, des propriétaires de forêts privées, des chercheurs et d’autres utilisateurs comme les zecs et pourvoiries.

«On veut une vision à long terme pour nos forêts parce que c’est tellement essentiel pour l’adaptation aux changements climatiques», a-t-elle commenté, soulignant que c’est dans la région que l’on retrouve le plus grand nombre d’entreprises forestières dans la province.

Andrée Laforest, la ministre de Affaires municipales

Au menu des discussions, les acteurs ont parlé d’aménagement durable et de productivité des forêts, d’approvisionnement en bois, de conciliation des usages, ainsi que de développement économique.

Un régime à revoir

Un des grands changements mis en place lors de l’implantation du nouveau régime forestier en 2013 fut la création d’un système de mise aux enchères de 25 % du bois récolté en forêt publique. L’idée visait à créer un marché libre pour ce bois afin de contrer les taxes américaines sur le bois d’œuvre.

«C’était une fausse bonne idée», estime Alain Paradis, directeur général de la Coopérative forestière Petit-Paris.

Les redevances versées à l’État sont désormais plus élevées au Québec que partout ailleurs au pays, alors que les taxes américaines n’ont pas disparu. «Le système a entraîné une hausse des coûts en diminuant la compétitivité des entreprises québécoises sur le marché», remarque Michel Bouchard, directeur général de l’Agence de gestion intégrée des ressources (AGIR).

Jean-Pierre Girard, copropriétaire de la Scierie Girard, estime que le nouveau régime a créé une compétitivité malsaine entre les entreprises qui veulent s’arracher les lots mis aux enchères.

«C’est le plus gros échec du régime parce que ça nous a enlevé de la prévisibilité et ça nous force à faire de mauvais investissements», dit-il, et ce pour maintenir les usines en vie.

Le financement des chemins forestiers est aussi à revoir, car les MRC sont trop souvent prises à financer leur entretien lorsque les entreprises forestières ont terminé leurs opérations, ont déploré les préfets Luc Simard et Gérald Savard.

Luc Simard, préfet de la MRC de Maria-Chapdelaine

Des décisions en région

« La planification forestière doit être régionalisée pour tenir compte les besoins des populations locales », a soutenu Luc Simard, le préfet de la MRC de Maria-Chapdelaine.

Ce dernier estime que des sociétés d’aménagement forestier local et la gestion de forêts de proximité par les MRC font partie de la solution. «Le ministère devrait donner les grandes orientations et le cadre réglementaire, mais ça serait les organismes locaux qui devraient faire la gestion et la planification opérationnelle, dit-il. Ça prend une implication du milieu pour offrir plus de souplesse.»

Yanick Baillargeon, préfet de la MRC du Domaine-du-Roy et président de l’Alliance forêt boréale, va dans la même direction. «La gestion unique, mur à mur, n’est pas adaptée aux différentes réalités régionales», dit-il, ajoutant que la décentralisation est nécessaire.

Jonathan Perron, directeur de la foresterie pour Produits forestiers Résolu, est lui aussi d’accord avec cette affirmation. La prise de décision doit être régionalisée et les parties prenantes doivent être imputables de leurs décisions, dit-il, ajoutant que le processus de consultation actuel est dysfonctionnel. « Les consultations avec les autochtones doivent être faites en amont », dit-il.

Plusieurs intervenants ont aussi souligné que les tables sur la gestion intégrée des ressources (GIR) devraient inclure des décideurs fauniques pour élargir les horizons de ce type de consultation.

La régionalisation des décisions permettra d’améliorer la planification à long terme en améliorant l’harmonisation des usages qui se feront à l’échelle locale, estime Claude Lebel, de West Fraser. «Pour faire de l’harmonisation, le temps est un outil et on manque de temps pour harmoniser parce qu’on ne sait pas où on va aller dans trois mois», dit-il.

À terme, les acteurs forestiers souhaitent arriver à avoir une prévisibilité sur 10 ans.

Produire plus sur moins de superficies

La protection du caribou forestier et la protection de 30 % du territoire réduiront la possibilité forestière. «Il faut s’attaquer à la stratégie de protection du caribou forestier, mais il ne faut pas avoir peur de mettre en place la stratégie d’intensification forestière notamment pour compenser certaines mesures de protection du territoire», a remarqué Yan Boucher, professeur d’aménagement et d’écologie forestière à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Yan Boucher, professeur à l'UQAC.

L’idée du Forestier en chef de créer des zones pour différents usages de la forêt fait ainsi son chemin, mais le concept d’intensification de la production forestière se bute à un problème d’acceptabilité sociale, remarque toutefois Michel Bouchard, d’AGIR.

«Il va falloir arrêter de tirer la couverte pour mieux se la partager», énonce-t-il, ajoutant qu’il faudra faire des compromis pour définir les meilleurs endroits pour intensifier la production de bois.

Caroline Lavoie, ingénieure forestière et représentante des scieries Lac-Saint-Jean et Martel, souligne que le Québec a la chance de pouvoir s’améliorer, car la productivité des forêts est de 1,4 mètre cube par hectares par an, alors qu’elle s’élève à 3 m³/ha/an au Nouveau-Brunswick. Elle ajoute que le gouvernement récolte près de 400 millions de dollars par an en redevances, sans compter les 6,8 milliards de dollars de retombées générées par l’industrie forestière, alors qu’il en investit 250 millions en sylviculture.

«Si le gouvernement investissait juste 400 millions de dollars en sylviculture, on pourrait aller chercher de la productivité en forêt», croit-elle.

Caroline Lavoie, ingénieure forestière et représentante des scieries Lac-Saint-Jean et Martel

André Gravel, directeur général de Solifor, et représentant de l’Association des grands propriétaires forestiers du Québec, croit qu’il faut changer notre modèle d’aménagement pour viser le rendement durable plutôt que le rendement soutenu. Au lieu de viser la récolte de la même quantité de bois chaque année, il faudrait plutôt adapter la récolte aux perturbations, pour diminuer la mortalité des arbres en forêt.

André Gravel, directeur général de Solifor, et représentant de l’Association des grands propriétaires forestiers du Québec

Favoriser le transfert des emplois

Plusieurs représentants syndicaux ont aussi participé à la réflexion. «La lutte aux changements climatiques, pour nous ça représente des opportunités parce que ça offre des projets porteurs pour le Québec», a mentionné Alexandre Fréchette, du syndicat des Métallos.

Le Québec doit toutefois investir massivement pour favoriser l’émergence des bioproduits et biocarburants, tout en aidant au transfert des travailleurs. «Les emplois des anciennes filières seront transférés dans les nouvelles filières, ajoute-t-il. C’est ça le concept d’une transition juste» qui permettra de maintenir l’occupation du territoire et la vitalité économique des régions.

Éric Bernier, vice-président des opérations forestières chez Arbec, fait partie des entreprises qui ont investi dans une usine de biocarburant et de biochar sur la Côte-Nord, afin de diversifier les activités forestières.

«Ça va prendre un bon coup de pouce de l’État pour modifier la réglementation comme on le fait pour développer la filière électrique», affirme-t-il. En imposant un seuil minimal de biocarburant, les investisseurs seraient nombreux à lancer des usines au Québec, pense M. Bernier.

Éric Bernier, vice-président aux opérations forestières chez Arbec.

Préserver les vieilles forêts

Alexandra Dupéré, du Conseil régional de l’Environnement et du Développement durable du Saguenay-Lac-Saint-Jean, a pour sa part souligné que la révision du régime forestier doit viser à freiner le rajeunissement des forêts, tout en maintenant la conservation des vieilles forêts intactes. « Une meilleure planification, à plus long terme, permettra de réduire la quantité de chemin et la traverse de cours d’eau temporaires, qui créent la fragmentation des habitats », a-t-elle soutenu.

Kathleen Goulet, conseillère en développement du territoire au Conseil de la Première nation des Innus d’Essipit, estime elle aussi qu’il faut faire une planification en amont des chemins forestiers pour déterminer à l’avance s’ils seront fermés lorsque les opérations seront terminées.

Bouger rapidement

À la fin de la journée, Éric Rousseau, directeur général de la coopérative Ferland-Boileau a demandé à la ministre Laforest de produire rapidement le plan stratégique pour l’avenir de la forêt. «Je veux voir un livrable, pas en 2025, mais bien d’ici les vacances de la construction de 2024, dit-il. Il faut accoucher ce ça rapidement et se mettre à l’œuvre.»

Pour tous les intervenants qui souhaitent faire des propositions sur l’avenir de la forêt québécoise, il est aussi possible de participer en ligne.


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