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Feux de forêt : des dizaines de millions de dollars de machinerie forestière partis en fumée

22 juin, 2023  par Guillaume Roy. Initiative de journalisme local



Selon les estimations actuelles, une soixantaine de machines forestières ont été la proie des flammes au cours des dernières semaines, représentant plusieurs dizaines de millions de dollars de pertes. Le Quotidien s’est entretenu avec trois entrepreneurs qui ont perdu des machines et qui, malgré les assurances, devront assumer de lourdes pertes financières. Certains songent même à changer de domaine, alors que tous s’entendent pour dire qu’il faut préparer un plan d’urgence pour éviter de telles pertes lors de la prochaine catastrophe du genre.

« Deux de mes machines et mon trailer à fuel ont brûlé, sans compter que mes trois roulottes de chantier ont probablement brûlé elles aussi », lance d’emblée Éric Tremblay, un entrepreneur forestier natif de Dolbeau-Mistassini qui récolte du bois près de Senneterre. Plus précisément, le feu a détruit son ébrancheuse et sa débusqueuse à grappin, des équipements de 2016, qu’il venait tout juste d’acheter pour répondre aux besoins de l’entreprise Barette-Chapais.

La débusqueuse à grappin incendiée.
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Selon ce dernier, la valeur des équipements perdus s’élève à 1,2 million de dollars… alors qu’il n’est assuré pour 450 000 dollars. « Je n’avais jamais imaginé que tout pourrait brûler d’un seul coup », remarque le forestier de 45 ans.

C’est grâce aux images prises en hélicoptères par Barette-Chapais que ce dernier a reçu la confirmation que ses machines étaient bel et bien brûlées.

L'ébrancheuse est aussi passée au feu.

« J’avais de super bonnes machines, mais là, si je m’en rachète des neuves, ça va me coûter au moins 400 000 dollars de plus que celles que j’avais », remarque Éric Tremblay, 45 ans, qui se demande maintenant s’il relancera les opérations. Ce constat l’attriste, car son fils de 18 ans venait tout juste de joindre son équipe de travail.

« Je vais attendre un peu avant de prendre une décision, mais ça va prendre de l’aide pour aider les petits entrepreneurs, sinon il y en a une grosse gang qui va arrêter », dit-il, inquiet de voir ce qu’il restera à récolter dans deux ans, après la récolte du bois brûlé.

Laisser tomber la récolte

Son frère, Sylvain Tremblay, qui a perdu un transporteur neuf, d’une valeur de 800 000 dollars dans le feu de Quévillon, confirme pour sa part qu’il délaisse la récolte forestière. « Je ne voulais pas arrêter tout de suite, mais l’avenir me fait peur, parce qu’on ne sait pas ce qui restera à récolter après le bois brûlé ».

L’homme de 52 ans, qui possède aussi des pelles forestières, souhaite désormais se concentrer sur la préparation de terrain. « Je vais vendre mon abatteuse et laisser ça aux plus jeunes », dit-il.
Sylvain Tremblay a perdu son transporteur de bois et il souhaite maintenant vendre son abatteuse pour se concentrer sur la préparation de terrain.

Deux millions de dollars d’équipement partis en fumée

« J’ai perdu mon abatteuse, mon transporteur et mon truck de service dans le feu », souligne pour sa part Guillaume Côté, le propriétaire de Foresterie G. Côté, qui a eu accès à des photos prises de ses équipements brulés, mais qu’il ne peut pas dévoiler. Étrangement, le feu a épargné son abatteuse de rechange et son quatre-roues, qui se trouvaient tous deux à proximité des machines brûlées.

À lui seul, les pertes s’élèvent à plus de deux millions de dollars, plus taxes, car une abatteuse vaut près d’un million, un transporteur près de 800 000 dollars et un camion de service près de 200 000 dollars.

Malgré les assurances, il devra tout de même éponger les franchises et la majorité de la valeur des équipements qui se trouvaient dans le camion de service, car il est difficile d’assurer ce type d’équipement.

Selon Louis Dupuis, économiste forestier et consultant auprès de l’Association québécoise des entrepreneurs forestiers, les franchises pour des machines forestières s’élèvent généralement à 50 000 dollars par machine.

Ainsi, Guillaume Côté, qui récoltait du bois dans le secteur de Lebel-sur-Quévillon pour Produits forestiers Résolu, devrait avoir à éponger une perte d’au moins 300 000 dollars.

Ce dernier s’estime tout de même chanceux, car il a pu trouver un autre transporteur Komatsu, comme celui qu’il avait auparavant. Avec son abatteuse de rechange, il sera en mesure de bûcher à nouveau lorsque la forêt sera ouverte à nouveau. « Je suis chanceux parce que mes employés m’ont dit qu’ils allaient attendre pour redécoller les opérations avec moi », dit-il.

Une soixantaine de machines perdues

Selon les informations recueillies par l’AQEF, plus de 60 machines seraient passées au feu. « La majorité des machines d’aujourd’hui possèdent des systèmes de géolocalisation par satellite, explique Louis Dupuis. Plusieurs machines directement dans les zones de feux ne répondent plus ». À moins que les batteries du module de géolocalisation ne soient tombées à plat, cela signifie qu’elles ont vraisemblablement passé au feu. Il est toutefois difficile de confirmer ces chiffres, car plusieurs secteurs demeurent inaccessibles.

Une relance difficile

Le feu pourrait empirer la pénurie d’entrepreneurs forestiers selon l’AQEF, car plusieurs songent à fermer boutique, car les pertes seront trop grandes malgré les assurances. Même ceux qui souhaitent racheter des machines pourraient avoir de la difficulté à en trouver, car le délai de livraison est de plusieurs mois chez plusieurs détaillants, souligne Louis Dupuis.

De plus, l’arrêt des opérations, qui pourraient durer encore plusieurs semaines, pourrait porter un coup fatal à plusieurs forestiers, car ils doivent tout de même payer les termes de la machinerie.

« Je perds entre 50 000 et 60 000 dollars chaque semaine », estime Guillaume Côté, soit un chiffre semblable à ce que racontait un autre forestier plus tôt cette semaine.

« Certains entrepreneurs ne s’en remettront pas », croit Louis Dupuis.

Un plan d’urgence nécessaire

Selon les trois entrepreneurs interviewés, Québec doit planifier un meilleur plan d’urgence pour la prochaine catastrophe du genre. « Les interdictions de circuler étaient exagérées dans certains secteurs et ils auraient dû nous laisser aller en forêt pour sortir nos équipements du bois », estime Sylvain Tremblay, qui a trouvé le moyen d’aller en forêt pour sauver son abatteuse. « On aurait pu tout sauver pendant les premiers jours », ajoute-t-il.

« Ils auraient pu nous escorter avec des professionnels, remarque pour sa part Éric Tremblay. Ça n’a pas de bon sens de laisser des équipements dans le feu comme ça. »

Guillaume Côté estime qu’il faudra avoir un plan de match prêt d’avance la prochaine fois. « On aurait pu aller porter nos machines à un endroit sécuritaire et aider à faire des coupe-feux, mais ils ont barré la forêt », dit-il.

En attente de l’aide gouvernementale

L’AQEF demande un plan de soutien financier aux entrepreneurs touchés par les feux de forêt. Ces derniers ont reçu plusieurs appuis, notamment du Bloc québécois et de l’Alliance forêt boréale.

« Les forestiers sont à la base de l’industrie, mais on nous sous-estime toujours, remarque Guillaume Côté. C’est nous qui faisons virer l’industrie ».


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