Opérations Forestières

En vedette Abattage Récolte
Un tarif presque inchangé depuis plus de 20 ans

Les tarifs pour récolter le bois n’ont presque pas évolué alors que les dépenses augmentent sans cesse.

4 mars, 2020  par Louis Dupuis



En 1997, si vous m’aviez demandé quelle était la rémunération moyenne pour récolter 1 m³ de bois avec une abatteuse multifonctionnelle et un transporteur en forêt publique au Québec, je vous aurais probablement répondu environ 18 $ / m³. Si aujourd’hui vous me posez cette même question, je vous répondrai encore environ 18 $ / m³. Pourtant, tous les coûts ont explosé depuis.

Je travaille depuis plus 38 ans dans le domaine financier, et je suis également économiste de formation. J’ai travaillé 15 ans pour une importante banque canadienne, 17 ans pour une filiale canadienne d’une société américaine spécialisée en financement de machinerie lourde (construction, transport et forestier), et 6 ans maintenant pour une société canadienne spécialisée en financement de machinerie lourde. Mon bureau étant situé au Saguenay-Lac-Saint-Jean, j’ai financé pour plus de 100 millions $ de machinerie forestière depuis 1997.

Les principales dépenses pour une entreprise de récolte forestière étaient, et sont toujours : 1) salaires et avantages sociaux, 2) coûts du capital investi en machinerie, 3) entretien & réparations de la machinerie, et 4) carburant & lubrifiant.

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Voici quelques statistiques significatives touchant l’évolution de ces principaux coûts :

  • 1 $ CAD de 1997 vaut 1,47 $ en 2018 (Statistique Canada)
  • Le salaire horaire moyen d’un employé à temps plein, en opération d’équipement de transport et de machinerie lourde est passé de 13,95 $ en 1997, à 21,70 $ en 2017 (Statistique Canada – aucune donnée précise pour la forêt n’est disponible) – 55.6%
  • Le prix moyen du carburant diesel au Québec en 1998, était de 0,58 $ / litre, et en 2018, il s’élevait à 1,29 $ (Régie de l’énergie Québec) – 122.4%
  • Prix moyen en 1997 d’un 20 litres d’huile hydraulique d’une marque connue, était de 25 $. Aujourd’hui le prix du 20 litres d’huile hydraulique est de 68 $ (fournisseur)- 172%
  • Le prix moyen en 1997 d’une camionnette Ford F150 XTL 4×4, s’élevait à 32 000 $. Aujourd’hui le prix d’un F150 XTL 4×4 est de 50 000 $ (Concessionnaire Ford) – 56.3%
  • Le prix moyen du transporteur forestier le plus populaire en 1997, un Timberjack 1010B 6 roues de 10 tonnes, était de 325 000 $CAD (base de données personnelle), alors que le prix moyen d’un transporteur 8 roues de la catégorie la plus populaire aujourd’hui, des 20 tonnes et plus, est de 675 000 $CAD (Komatsu 895, Logset 12F, Ponsse Elephant King, Tigercat 1085C) – 107.7%
  • Le prix moyen de l’abatteuse la plus populaire en 1997, une Timberjack 608 avec une tête FMG762B, était de 450 000 $CAD (base de données personnelle), et le prix moyen aujourd’hui d’une abatteuse multifonctionnelle sur chenilles des marques les plus populaires (John Deere 853MH, Tigercat H855D, Eltec FH277L) avec une tête multifonctionnelle (Waratah H415X, Ponsse H7-HD, Log max 7000XT) s’élève à 675 000 $CAD et plus – 50%
  • Le taux préférentiel (TP) au Canada était de 4.75% en 1997, et de 3.95% en 2018 (Banque du Canada) – 16.8%
  • En 1997, en supposant un financement au montant de 775 000 $ pour une abatteuse et un transporteur (325 000 $ + 450 000 $), sur 60 mois, au taux de 6.50% (TP + 1.75%), les versements mensuels auraient été de 15 163 $, pour un total annuel de 181 965 $. En 2019, en supposant un financement au montant de 1 350 000 $ pour une abatteuse et un transporteur (675 000 $ + 675 000 $), sur 60 mois, au taux de 5.70% (TP + 1.75%), les versements mensuels seraient de 25 911 $, pour un total annuel de 310 937 $. – 70.9%

En dollar constant, on peut même affirmer que la tarification a diminué au courant des 20 dernières années.

Vous vous demandez surement, comment les entrepreneurs forestiers font-ils pour arriver aujourd’hui? Les machineries forestières sont définitivement plus performantes qu’à l’époque, les transporteurs ont plus que doublé leur capacité de chargement, et les méthodes de travail se sont également améliorées et optimisées. Par ailleurs, le nombre de semaines d’opérations a aussi légèrement augmenté. Par conséquent, la production hebdomadaire moyenne s’est améliorée.

En 1997, un entrepreneur forestier qui travaillait 40 à 42 semaines par année, avec une récolte hebdomadaire moyenne de 1100 m³ et une rémunération de 18 $ / m³, générait des revenus annuels d’environ 800 000 $, ce qui lui permettait de rencontrer toutes ses obligations, dégager un bénéfice net normal, disposer d’un fonds de roulement suffisant pour faire face aux imprévus, et réinvestir dans son entreprise, en lui permettant de renouveler sa machinerie aux 5 ans (et ainsi demeurer performant).

Aujourd’hui, pour faire face à toutes ses obligations, et dégager un bénéfice normal pour être performant, un entrepreneur forestier, avec une rémunération de 18 $ / m³, doit travailler 42 à 45 semaines par années, produire en moyenne de 1400 à 1500 m³ hebdomadairement, et générer des revenus annuels d’environ 1,1 M$.

Pour un entrepreneur forestier, le bénéfice net dont nous faisons référence peut s’estimer à une marge de plus ou moins 10%. En deçà de ce seuil, il sera difficile d’espérer trouver des individus qui voudront investir temps et argent sans y trouver leur compte. Il sera préférable pour eux d’être des opérateurs salariés.

Les territoires de récolte n’étant pas tous égaux, la production peut être significativement affectée en fonction de différents facteurs, dont la densité de la forêt, le nombre de tiges au m³, le relief, les types de peuplement, le nombre d’espèces, etc. Si le volume récolté est insuffisant pour atteindre le seuil de rentabilité, l’entreprise fonctionnera à perte, un entrepreneur forestier ne pouvant pas être meilleur que la forêt qu’il a devant lui.

En 1997, si un entrepreneur forestier opérait, par exemple, pendant 10 semaines dans un secteur de coupe à faible rendement, et qu’il récoltait en moyenne 900 m³ par semaine, il était possible de l’affecter par la suite pendant 10 semaines dans un territoire de récolte à meilleur rendement pouvant lui permettre de récolter 1400 m³ par semaine. Ceci permettait par conséquent de balancer la production pour conserver une moyenne hebdomadaire de 1100 m³.

En 2019, cette équation n’est toutefois plus valable. Si le volume récolté diminue de 1400 m³ à 900 m³ par semaine pendant 10 semaines, l’entrepreneur forestier n’aura probablement pas le fonds de roulement nécessaire pour absorber les pertes d’opérations pendant cette période. De plus, il serait très peu probable qu’il puisse être relocalisé dans un secteur de coupe pouvant lui permettre de récolter un volume de 1900 m³ hebdomadairement pendant 10 semaines pour rééquilibrer ses revenus.

Plusieurs entrepreneurs forestiers sont actuellement à bout de souffle et présentent des états financiers déficitaires. Ils sont incapables donc de renouveler leurs équipements, et plusieurs ont cessé leurs opérations, ou même fait faillite. Pourtant, l’industrie a plus que jamais besoin d’eux; il y a présentement une pénurie d’entrepreneurs forestiers, car la relève est rare. Après tout, qui voudrait démarrer une entreprise nécessitant de très importants investissements en machinerie, travailler de très longues heures dans des conditions extrêmes, passer des semaines complètes dans un camp forestier loin de sa famille, et ce dans un domaine qui est non rentable?

Aucune marge de manœuvre
Cette situation difficile n’aide pas non plus à améliorer la pénurie d’opérateurs, car les entrepreneurs forestiers n’ont même pas les moyens d’en former des nouveaux : ils n’ont aucune marge de manœuvre pour le faire, et ils ne peuvent absolument pas se permettre une baisse de production. En plus, il faudrait que les nouveaux opérateurs produisent dès le départ comme des opérateurs de 20 ans d’expérience. Ce contexte défavorable n’est pas sans décourager les trop peu nombreux aspirants opérateurs.

Il y a bien eu de très récentes et timides augmentations de tarifs. Il est toutefois peu probable qu’elles suffisent à corriger pleinement la situation. Le retour souhaité par l’industrie à une meilleure prévisibilité ne sera pas suffisant cette fois. Avec les conditions changeantes de nos forêts, il est peut-être temps d’instaurer une grille de tarifs basée sur les conditions des secteurs de coupe (densité de la forêt, nombre de tiges au m³, relief, type de peuplements, nombre d’espèces, distances de débardage, etc.), avec un nombre de semaines de travail suffisant pour permettre aux entrepreneurs de faire face à leurs obligations et dégager des bénéfices normaux.

Depuis la mise en place du nouveau régime forestier en 2013, en principe — et je dis bien en principe — les redevances payées à l’état (droits de coupe) devraient refléter les coûts d’exploitation variables en fonction des différences entre les secteurs de coupe. Force est de reconnaître que ça ne s’avère pas le cas. Les enchérisseurs sur les lots offerts par le BMMB ne semblent pas prendre en considération l’augmentation importante des coûts de fonctionnement qu’ont subie les entrepreneurs et transporteurs forestiers dans les 20 dernières années.

Plusieurs raisons peuvent expliquer que les entrepreneurs ont vu leur rémunération diminuer avec les années. J’en ai énuméré quelques-unes, et cette liste n’est pas exhaustive. Il suffit cependant de comprendre qu’un entrepreneur forestier en bonne santé financière est plus performant, et nécessite moins de supervision, qu’un entrepreneur forestier en mauvaise situation financière dont la machinerie est rendue à bout d’âge, et qui subit de nombreux arrêts de production en raison de bris fréquents. En augmentant le prix du m³, en instaurant une grille de tarifs en fonction des conditions de terrain, par exemple, il sera plus facile d’assurer une relève à nos entrepreneurs forestiers, les industriels y trouveront leur compte, car moins d’équipes seront nécessaires pour récolter un même volume, et ils auront une meilleure garantie d’approvisionnement.


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