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Sylviculture: des milliers d’hectares dans un état critique

16 novembre, 2022  par Guillaume Roy. Initiative de journalisme local



Des milliers d’hectares de plantations sont dans un état critique. Avec un budget de sylviculture qui stagne depuis 2014, il y a beaucoup de rattrapage à faire et si rien n’est fait rapidement, les investissements de l’État seront perdus. Selon les acteurs forestiers, il faudra plus d’argent et une meilleure planification pour maintenir les actifs forestiers. Reportage.

Sur le chemin des Bussières, à quelques kilomètres du Lac-à-Jim, à Saint-Thomas-Didyme, la repousse d’arbres feuillus domine. À première vue, on ne voit que du peuplier faux-tremble et du bouleau qui font déjà plus de trois mètres de hauteur. Au sol, on aperçoit beaucoup de plants de framboises et des fougères décolorées par le changement de saison. En cherchant attentivement, on arrive à trouver quelques petites épinettes noires, chétives, qui ne font que quelques dizaines de centimètres à travers les débris au sol. On devrait trouver un arbre à tous les deux mètres, mais ce n’est pas le cas, car il y a déjà beaucoup de mortalité.

« C’est une chance qu’on est l’automne, parce que si on était venu en été, les feuilles auraient complètement caché les plants », remarque Fabien Simard, le directeur général de l’Association des entrepreneurs en travaux sylvicoles du Québec.

Jonathan Tremblay, Fabien Simard et Dominique Nadeau, lors de la visite sur le terrain

À la fin octobre, il a convié Le Progrès à aller visiter des plantations en perdition dans le nord du Lac-Saint-Jean, en compagnie de deux entrepreneurs en travaux sylvicoles, Jonathan Tremblay et Dominique Nadeau, afin de démontrer l’urgence d’agir.

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« D’année en année, on scrape de plus en plus de plantations, dit-il. Ça veut dire qu’on dilapide de l’argent. Ce n’est pas une gestion saine des fonds de l’État. »

Dans l’unité d’aménagement 024-71, dans le secteur de la ZEC des Passes, il y aurait 3750 hectares de plantations dans un état critique à l’heure actuelle, selon les données présentées par le MFFP aux entrepreneurs en travaux sylvicoles.

Depuis 2014, le budget alloué à la sylviculture est resté le même, soit 225 millions par an. En 2020, le MFFP a ajouté 25 M $ par année, mais l’inflation a grimpé plus rapidement que les investissements de l’État, note Fabien Simard. Alors que les coûts de reboisement augmentent, il reste moins d’argent pour faire l’éducation de peuplement, soit du débroussaillage.

Chaque année, le gouvernement paie les pépinières pour produire des plants. La priorité est de mettre ces plants en terre. L’argent qui reste est dédié au débroussaillage. Faute d’argent suffisant, on reporte les travaux les moins urgents. En répétant le même scénario chaque année, un cercle vicieux s’installe, car il y a de plus en plus de plantations à débroussailler.

« On aurait eu 1500 hectares à dégager, cette année, mais on a pu en faire seulement 1000 avec le budget qui nous était donné », raconte Dominique Nadeau, du Groupe Nokamic.

Fabien Simard montre à quel point une plantation bien dégagée pousse rapidement.

Un problème logistique

L’exemple de la plantation de Saint-Thomas reflète bien le cercle vicieux du report des travaux, qui devient un problème logistique important, car le site a été bûché en 2013, scarifié en 2015 et reboisé en 2019.

Idéalement, le terrain devrait être reboisé la même année que le scarifiage, ou l’année suivante. En attendant des années avant de reboiser, on laisse toutefois la chance aux autres espèces de prendre racine et de concurrencer les plants mis en terre à fort coût, explique Fabien Simard. En 2022, les feuillus ont pris le dessus et les petites épinettes n’ont pratiquement pas de lumière pour pousser. « Même si on vient débroussailler l’année prochaine, les arbres seront enterrés par les débris et il y aura beaucoup de mortalité », estime Jonathan Tremblay.

Ce dernier nous a guidés dans une fourche au km 26, sur le chemin de la Domtar, au nord de Dolbeau-Mistassini, pour montrer un secteur qui tarde à être mis aux enchères. Le scénario est similaire à celui de Saint-Thomas, alors que les feuillus, les fougères et les framboisiers dominent le paysage.

Faute de budget, plusieurs secteurs qui auraient dû être mis aux enchères sont repoussés, parfois de quelques années, mettant en péril les plantations, note Jonathan Tremblay. Les investissements de l’État seraient ainsi perdus.

« On est près des villes et c’est ici que l’on devrait faire l’intensification forestière, mais là, il va falloir abandonner la plantation et laisser pousser les peupliers », soutient Fabien Simard. Selon ce dernier, la Stratégie nationale de production de bois, lancée en 2020 dans le but de doubler la production de bois d’ici 2080, ne va nulle part si on n’arrive pas à entretenir nos forêts.

« Le gouvernement a de beaux discours pour la contribution de la forêt à la lutte aux changements climatiques, « plus de richesse, moins de GES », mais il ne réalise pas les travaux sylvicoles nécessaires pour maintenir le rendement des forêts. »

Un dégagement effectué au bon moment permet d’améliorer la croissance des arbres.

Un manque de connaissance politique ?

Questionné sur les 3750 hectares de plantations en perdition, le MFFP a répondu que les énergies et les budgets ont été consacrés à la remise en production du grand feu de la Chute-des-Passes ainsi qu’aux superficies affectées par la tordeuse des bourgeons de l’épinette.

« Depuis ce constat, la stratégie régionale a été révisée afin de profiter de la régénération naturelle et pour augmenter les travaux d’entretien des plantations. Ces plantations seront dégagées dans les prochaines années », a expliqué le MFFP par courriel. « Les stratégies mises en place dans les plans d’aménagement des prochaines années permettront de combler le rattrapage. »

Certaines superficies pourront être sauvées, mais d’autres devront être délaissées, car le retard est trop grand. Sur le terrain, les ingénieurs et les techniciens forestiers estiment que le budget ne suit pas la stratégie d’aménagement.

« On n’est pas capable de convaincre le politique de ce qui se passe », note Fabien Simard, qui se désole de voir les investissements de l’État ainsi gâchés.

Les petites épinettes n’ont pratiquement pas de lumière, en été, sous le couvert des feuillus, dans une plantation près du Lac-à-Jim.

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SUIVIS DÉFICIENTS, UN PROBLÈME RÉCURRENT

L’AETSQ n’est pas la première organisation à sonner l’alarme au sujet du suivi des plantations, car le Forestier en chef l’a également fait en 2015 dans un avis nommé Le succès des plantations.

À l’époque, il soulevait deux constats préoccupants. D’une part, seulement le tiers des plantations avait fait l’objet d’un second suivi. D’autre part, 26 à 56 % des plantations analysées présentaient un envahissement par des essences autres que celles mises en terre.

En 2017, la Vérificatrice générale du Québec a aussi dressé un triste portrait. Les objectifs de la Stratégie d’aménagement durable des forêts manquent de précision.

« Le processus menant au choix des travaux sylvicoles ne permet pas de prendre les meilleures décisions afin de maximiser les retombées de ces travaux. Il n’y a pas d’engagement à réaliser tous les traitements sylvicoles définis comme conditions de succès, par exemple plusieurs plantations ne sont pas entretenues de façon adéquate. La rentabilité économique est peu prise en compte lors du choix des traitements alors que l’allocation budgétaire ne favorise pas les meilleurs investissements. »

L’entretien des plantations est vital pour maintenir les actifs forestiers de l’État, car les calculs du Forestier en chef sont faits en considérant que les plantations sont bien entretenues. Si elles sont délaissées, la productivité ne sera pas la même et la possibilité forestière sera affectée, souligne Fabien Simard. « Dans quelques années, on va vivre une crise quand on va voir que nos plantations sont mortes, que nos forêts ne produisent pas autant et qu’il faut couper l’approvisionnement pour les usines », ajoute-t-il.

François Laliberté, le président de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec, s’inquiète aussi de l’état des plantations. « Aucun bilan n’a été présenté au public pour démontrer que le travail a été fait après les recommandations de la vérificatrice générale », dit-il. Le Ministère serait en train de développer un plan de correction, mais il n’est pas terminé… plus de cinq ans après les constats de la vérificatrice générale. « C’est très long et c’est un processus assez obscur », ajoute-t-il.

Avec le manque de main-d’œuvre et la division des tâches accompagnant le nouveau régime forestier, certaines tâches semblent être tombées dans les craques, poursuit-il. « On ne sait pas trop qui est responsable. »

Le suivi des plantations et de toutes les forêts du Québec est pourtant la base sur laquelle on doit appuyer tous les travaux à réaliser. « On doit aller sur le terrain pour savoir quels sont les besoins pour ensuite définir le budget », dit-il.

En ce sens, l’évaluation des 3750 hectares en perdition est somme toute une bonne nouvelle, car ça veut dire que le MFFP a réalisé des suivis dans ce secteur.

Selon les prévisions de croissance des forêts, le Forestier en chef assume que toutes les plantations vont bien et les données sont révisées aux dix ans, ce qui peut créer une image faussée de la réalité, note François Laliberté.

Fabien Simard croit qu’il faudra du courage politique et une bonne connaissance de la réalité forestière pour faire les bons investissements pour le futur. « Qu’est-ce qu’on va laisser pour le futur ? On fait croire au monde qu’on les reboise et que tout va bien, mais ce n’est pas tout à fait ça qui se passe, parce qu’on en perd une très grande quantité », conclut-il.

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LE REBOISEMENT EN BREF

Près de 20 % des superficies récoltées sont reboisées, au Québec, avec des arbres qui ont un intérêt commercial. Le reboisement se fait sur les terrains qui se régénèrent mal ou lorsque la concurrence végétale est trop grande. La balance repousse naturellement. Plus les forêts sont près des villes et des usines, plus il y a de chance qu’elles soient reboisées pour augmenter la productivité. Au cours des dernières années, on a reboisé près de 122 millions d’arbres par année, remarque Fabien Simard, soit des petits arbres qui font entre 12 et 60 centimètres. Selon les terrains et les types de sols, différentes espèces et différentes tailles d’arbres sont sélectionnées. C’est Rexforêt, un partenaire du gouvernement du Québec, qui gère les travaux sylvicoles sur les terres publiques du Québec.


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