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Barrette-Chapais : le champion du rendement matière

La scierie Barrette-Chapais est non seulement la plus grosse usine de sciage au Québec, mais c’est également l’usine la plus performante en termes de récupération du bois. Reportage au cœur de ce poumon économique du Nord québécois.

27 mars, 2019  par Guillaume Roy


Benoit Barrette, président de Barrette-Chapais, et Réjean Dion, directeur des opérations, à l’intérieur de l’une des usines les plus performantes du Québec.

Assis dans sa cabine de travail, l’opérateur d’une des cinq lignes de sciage, Laurent Boutin regarde attentivement chaque bille qui passe dans la machine unique au Québec. « On roule à 35 ou 36 billes par minutes », lance l’homme qui compte 44 ans d’expérience à l’usine Barrette-Chapais. Par moment, la vitesse a déjà atteint plus de 40 billes par minutes, mais c’était trop dur pour la machinerie.

Au lieu de déplacer les billes sur un convoyeur avec des presses, les billes sont maniées dans les airs en les manipulant par des emprises aux extrémités, un principe dénommé « end-dogger ». « Ce principe est beaucoup utilisé dans l’Ouest canadien, mais comme on ne retrouve pas d’équivalent sur le marché dans l’Est, on a du designer nos propres machines », remarque Benoit Barrette, en rappelant que c’est son père, Yves, qui a développé le concept à la fin des années 1980.

En plus de permettre de scier plus rapidement, cette technique offre une meilleure précision, car les pièces sont plus stables, ajoute Réjean Dion, directeur des opérations de l’usine.

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Cette petite révolution dans la manière de scier les petites billes a commencé au début des années 1990, quand Barrette-Chapais a implanté une première ligne « end-dogger », avant d’en rajouter deux autres quelques années plus tard. Et depuis cette époque, Barrette-Chapais n’hésite pas à se lancer dans la conception et la fabrication de ses propres équipements lorsqu’elle ne trouve pas ce qu’elle veut sur le marché.

L’usine a notamment bâti son propre réseau de 20 optimiseurs qui permet de faire des prévisions et d’assurer une bonne cohérence entre les prévisions et les produits. Ce système intégré permet de choisir quel est le meilleur produit à faire selon une liste de produits préétablis. De plus le système permet de voir toute l’information de production sur un tableau de bord, en un coup d’œil, en plus de lancer des alertes selon des barèmes établis. « J’ai récemment appris qu’on fait du 4.0 depuis plusieurs années sans qu’on le sache », lance Benoit Barrette en riant.

Et même quand les produits existent, l’entreprise exige d’acheter l’accès aux sources du logiciel pour le modifier selon ses besoins. « On veut maitriser notre propre destinée, ajoute ce dernier. On ne veut pas attendre quelqu’un pour optimiser nos machines, car on préfère les optimiser selon nos besoins. »

Par exemple, l’entreprise a insisté pour installer son propre logiciel et d’avoir accès à toutes les données, lors de l’achat d’une déligneuse Lico, il y a quelques années. Résultat : le débit atteint désormais 55 pièces par minute.

Idem avec les scanneurs Chroma Scan, de Dynavision, utilisés pour le classement du bois. « On a mis la tête un peu en angle pour mieux définir la flache, remarque Réjean Dion. Le fournisseur ne voulait pas nécessairement se lancer là dedans, parce qu’on était peut-être les seuls clients intéressés à faire ça, mais ils comprenaient pourquoi on voulait le faire et ils nous ont aidés. Ça été long, parce qu’il a fallu tout recalibrer et on a du développer du code a l’interne, mais au bout du compte, ça valait la peine parce que ça nous a permis d’aller chercher un petit plus. »

À la scierie Barrette-Chapais, tous les détails comptent quand vient le temps d’optimiser le rendement matière. Par exemple, l’entreprise a mis beaucoup de travail pour trouver l’épaisseur optimale des scies. « On utilise des scies extrêmement minces sur toutes nos refendeuses », note Réjean Dion, qui, avec son équipe, a optimisé le nombre de dent, le dégagement, la lubrification et l’entretien des scies, car « chaque petit millième compte. »

« Le secret est dans le souci constant des détails », renchérit Benoit Barrette, qui parle de l’optimisation en termes de philosophie d’entreprise qui doit être partagée par tous les employés.

Et le résultat parle par lui même, car l’usine de Barrette-Chapais est reconnue comme étant une des plus performantes au Québec, avec un rendement matière sous la barre de 3,2 mètres cubes nécessaires pour produire 1000 pieds mesure de planche (pmp), alors que la moyenne québécoise avoisine 3,9 m3/1000 pmp. L’usine est si performante qu’elle n’a jamais fermée depuis 40 ans, même pendant les pires moments des dernières crises forestières, lance fièrement Benoit Barrette, président de Barrette-Chapais.

Alors que les derniers gros investissements dans l’usine de sciage ont eu lieu il y a plus d’une décennie, plusieurs petits investissements sont réalisés chaque année pour optimiser constamment le procédé. Par exemple, l’usine a remplacé sa chaudière à sciure par une chaudière à écorces de Wellons. « On a vendu notre écorce pendant plus 20 ans à Chapais Énergie, mais en fonction des realite economique d’aujourdhui, ça avait désormais plus de sens de vendre la sciure et de bruler les écorces ici même », remarque le dirigeant qui est la 3e génération de Barrette à la tête de l’entreprise familiale. Il y a un peu plus d’un an, l’usine a aussi rajouté une machine MSR au planeur, un tourne-bille pour traiter les plus grosses billes, ainsi qu’un scanneur et un canter de Comact.

Le plus gros scieur du Québec
Chaque année, l’usine de Barrette-Chapais transforme près de 980 000 mètres cubes de bois. Comptant sur une garantie d’approvisionnement de 575 000 m3, l’entreprise doit donc s’approvisioner de plus de 400 000 m3 sur le libre marché soit des communautés autochtones, des lots vendus aux enchères ou des lots en forêt privée Près des deux tiers de ce bois, du 1×3 jusqu’au 2×4, est livré par train, un avantage important pour une scierie si éloignée des marchés. Près de 55% du bois va aux États-Unis et 2 à 3 % est expédié au Mexique, alors que la balance est consommée au Canada.

Environ 10% du bois est vendu vert, alors que 90 % est séché sur place avant d’être raboter et livré.

Et comme c’est le cas au sciage, le secteur du séchage est aussi optimisé au quart de tour. « On a cinq séchoirs Salton et Bachrich à haute température avec une moyenne de 30 à 32 h de séchage, soutien Réjean Dion. Les gens font souvent le saut parce que c’est vraiment pas long. C’est un peu intense mais on a une bonne recette maison », lance-t-il, le sourire en coin.

Le secteur du rabotage a subi des modifications selon la philosophie Barrette-Chapais. L’usine, qui roulait jadis avec une raboteuse à 250 pièces par minutes, a décidé de ralentir la cadence à 125 pièces par minute et d’utiliser deux raboteuses Gilbert depuis une dizaine d’années. « On a décidé d’aller moins vite pour optimiser chaque pièce, en mettant des scanneurs à l’entrée pour décider si on fait un prélèvement de 30, 60 ou 90 millièmes sur la rive, explique le directeur des opérations. Ça nous permet de maximiser le rabotage pour diminuer la flache. » Le système d’optimisation conçu à 100% à l’interne, sauf pour les têtes scanneurs M24 de Dynavision, permet aussi de faire des vérifications et de lancer des alarmes si la déviation est trop grande. Il y a deux ans, l’usine a aussi rajouté une machine MSR de Métrigard.

Trouver les bonnes ressources
Comme tous les joueurs de l’industrie, Barrette-Chapais doit trimer dur pour trouver les bonnes ressources humaines, d’autant plus que l’usine se trouve en région éloignée, à Chapais, un petit village de 1600 personnes. Lors de la visite d’Opérations forestières, à la fin novembre, un groupe d’une trentaine d’étudiants en technique d’électronique industrielle et en génie mécanique du cégep de Jonquière était justement en visite à l’usine.

« On n’attend pas les CV, on va vers les gens », lance Benoit Barrette, conscient que la main-d’œuvre spécialisée est prisée par tous les employeurs. Et particulièrement quand on parle des besoins en électromécanique, ajoute Rémi Asselin, responsable des ressources humaines pour Barrette-Chapais. La demande est si grande que la moitié des entreprises désireuses ne peuvent même pas obtenir de stagiaires.

Pour Rémi Asselin, l’important est de semer une graine pour leur faire voir tout le potentiel du secteur, et surtout de son usine, car les besoins de recrutement sont constants au sein d’une grande équipe comme celle de Barrette-Chapais. « On est habitué de former les gens à l’interne, mais on préfère toujours quand on peut embaucher des jeunes qui sont déjà spécialisés », conclut-il.

70 millions de dollars pour une usine de granules
En lançant une nouvelle usine de granules commerciales, Barrette-Chapais s’assure de ne plus être aux prises avec des surplus de copeaux comme de fut le cas au cours de la dernière année, alors que des milliers de tonnes de copeaux se sont accumulées dans la cour à bois.

« On est condamné à faire des produits carrés avec des billes rondes, soutient Benoit Barrette. On doit donc trouver des manières pour donner de la valeur aux coproduits. » C’est pourquoi l’entreprise qu’il dirige a décidé de lancer l’entreprise Granules 777, qui produira 210 000 tonnes de granules commerciales. La production est dédiée à être exportée en Angleterre, pour subvenir aux besoins d’une usine qui a converti ses installations de production d’électricité à partir de charbon, en utilisant maintenant des granules.

« Il y a toujours eu des hauts et des bas sur le marché des copeaux, souligne de dernier, mais une chose est inévitable, la consommation de papier journal baisse, a-t-il ajouté. On a donc décidé de créer nous-même une alternative, pour sécuriser les 350 emplois de l’usine et inspirer un souffle de confiance pour voir l’avenir de l’entreprise à long terme ».

L’usine, qui a commencé à être construite en août dernier, devrait produire ses premières granules à la fin juillet 2019 et créer une quarantaine d’emplois, dont 20 à l’usine et 20 autres dans le transport.  Les principaux fournisseurs d’équipements sont Prodesa, TSI pour le séchage des granules, et Airex pour le dépoussiérage.

En plus des investissements réalisés à l’usine, l’entreprise a aussi investi 17 millions de dollars pour construire les infrastructures d’entreposage au port de Saguenay, créant au passage une vingtaine d’emplois supplémentaire.


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