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RYAM et Pikogan veulent protéger les caribous

1 mars, 2021  par Guillaume Roy



En Abitibi, la forestière RYAM a piloté un projet de rétablissement du caribou forestier, en travaillant en collaboration avec le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs du Québec, les autochtones et les écologistes… avant même la mise sur pied du plan de Québec. Au passage, RYAM a concédé l’équivalent de trois semaines d’approvisionnement en bois, ce qui a permis de réduire le taux de perturbation à 39 %. Reportage.

Tout a commencé en 2013, lorsque Tembec (entreprise vendue à Matériaux innovants Rayonnier (RYAM) en 2017) a reçu un certificat de non-conformité pour maintenir sa certification de la Forest Stewardship Council (FSC). À l’époque, de nouvelles données scientifiques soulignaient l’importance de réduire la perturbation sur le territoire occupé par la harde de caribou Détour-Kesagami, à la frontière du Québec et de l’Ontario.

Table d’échange lors du forum de Pikogan en 2019.

« Pour nous, c’était essentiel de garder cette certification pour vendre nos produits sur le marché », souligne Marie-Ève Sigouin, directrice de la foresterie pour RYAM, qui était jadis à l’emploi de Tembec. Pour trouver une solution durable, la forestière crée alors un comité technique régional sur le caribou forestier.

En 2013, le gouvernement du Québec venait de reprendre le contrôle de la planification forestière avec la mise en place du nouveau régime forestier. En étant gestionnaire du territoire, le gouvernement avait désormais un rôle important à jouer dans le processus de certification.

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L’aire de distribution de la harde Détour-Kesagami se trouve principalement en Ontario et près de 5% est au Québec.

Pikogan, une communauté algonquine qui occupe le territoire où l’on retrouve les caribous, est aussi invitée à siéger au comité. « Dès le départ, un des vice-présidents de Tembec, Michel Lessard, a demandé qu’on implique la SNAP (Société pour la nature et les parcs) dans le processus », remarque Mare-Ève Sigouin.

Deux ans plus tard, le comité en arrive à une première réussite, pour trouver des solutions afin de maintenir la certification FSC, en incluant la protection du caribou forestier dans le plan d’aménagement.

Retour à la table à dessin

En 2018, les exigences de FSC Canada sont toutefois rehaussées, alors que les plus récentes connaissances scientifiques soulignent qu’il faut limiter les taux de perturbation de l’habitat du caribou forestier sous le seuil de 35 %.

L’équipe caribou se remet au travail et lors des premières rencontres, les discussions sont parfois corsées. « Quand on commençait à s’éloigner du sujet principal, je rappelais à tout le monde qu’on était là d’abord pour le caribou, pas pour nos intérêts personnels », soutient Benoit Croteau, directeur territoire et environnement, du Conseil de la Première Nation Abitibiwinni.

En 2019, le comité de travail a notamment organisé un forum à Pikogan sur l’intégration des connaissances autochtones, réunissant une cinquantaine d’intervenants de huit communautés. Ce forum a permis d’améliorer la relation de confiance en écoutant davantage les préoccupations des communautés, souligne Benoit Croteau. Les liens avec les chercheurs sont de plus en plus importants et les connaissances autochtones sont de plus en plus reconnues. Pikogan et RYAM ont notamment investi 15 000 $ chacun pour financer les travaux d’un étudiant à la maîtrise sur le savoir traditionnel des Premières Nations sur le caribou.

Après deux ans de travail, les partenaires en viennent à proposer un plan pour protéger l’habitat du caribou. La possibilité forestière sera réduite de 6 % dans cette unité d’aménagement forestier. Aucune activité de récolte ne sera faite dans les aires de reproduction et de migration des caribous. La construction de chemins forestiers devra être réduite au minimum et de vieux chemins devront être reboisés.

Les efforts du comité de travail sur le caribou ont permis de limiter le taux de perturbation à 39%, mais le travail continue.

Un engagement de la haute direction

L’implication de la haute direction est un des facteurs clés du succès du projet de protection du caribou forestier, estime Marie-Ève Sigouin. C’était vrai à l’époque Tembec et ça s’est poursuivi avec RYAM à compter de 2017, alors que l’entreprise a intégré l’importance de la norme FSC dans sa politique environnementale. Un choix environnemental, mais aussi économique, car plusieurs clients exigent la certification FSC, souligne Marie-Ève Sigouin.

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Un plan imparfait, mais satisfaisant pour tous

Selon Marie-Ève Sigouin, directrice de la foresterie pour RYAM, le succès du projet ne se calcule pas en termes de mètres cubes ni en pourcentage de territoire sans perturbation. « Le succès, c’est d’avoir été capable d’établir un dialogue, de faire un plan ensemble, et d’avoir une démarche pour continuer le travail », dit-elle, fière du travail accompli par le comité formé avec le ministère de la Forêt de la Faune et des Parcs (MPPF), de la communauté de Pikogan, et de la Société pour la nature et les parcs (SNAP).

Pier-Olivier Boudreault, biologiste pour la SNAP, abonde dans le même sens. « On s’entend sur 95 % des mesures et tout le monde travaille de bonne foi pour en arriver à une position conjointe, dit-il. Je crois que ça envoie un message positif parce qu’on est capable de s’asseoir ensemble et de franchir des étapes importantes ».

Ce dernier estime que l’industrie forestière fait partie de la solution pour réduire notre empreinte carbone, mais que l’on doit trouver un équilibre entre les niveaux de récolte et les impacts sur la biodiversité.

Benoit Croteau, directeur territoire et environnement, du Conseil de la Première Nation Abitibiwinni, se réjouit également du travail accompli jusqu’à présent, tout en ajoutant qu’il reste beaucoup à faire.

D’emblée, le comité de travail a décidé de s’éloigner des extrêmes. Chaque groupe avait de bonnes raisons de ne pas s’asseoir à la table, remarque Marie-Ève Sigouin, mais tous les intervenants ont convenu qu’ils devraient faire des compromis. Par exemple, RYAM a accepté d’emblée qu’il y ait une perte de possibilité forestière, alors que Pikogan et la SNAP ont accepté la poursuite des opérations forestières.

« On savait que la protection du caribou amènerait une baisse de la garantie d’approvisionnement, mais on préférait s’impliquer dans le processus pour minimiser les impacts », explique la directrice de la foresterie chez RYAM.

En sachant que des mesures pour la protection du caribou étaient inévitables, RYAM a choisi d’investir dans ses scieries, plutôt que de s’apitoyer sur son sort en brandissant la menace de pertes d’emplois. « Ça nous force à mieux utiliser le bois qu’on récolte et c’est pourquoi on investit pour améliorer le rendement matière », ajoute cette dernière.

De plus, la baisse de la garantie d’approvisionnement, qui représente trois semaines de travail à l’usine de La Sarre, ne représente pas nécessairement une baisse de volume à transformer, car RYAM peut acheter des lots mis aux enchères ou encore acheter du bois aux producteurs privés pour compenser, dit-elle.

Le résultat final est imparfait, admet Marie-Ève Sigouin, personne n’a atteint 100 % de ses objectifs, mais tout le monde se rallie derrière le plan de protection du caribou.

Après deux ans de travail, le comité a réussi à réduire le taux de perturbation à 39 % dans les zones occupées par les caribous.

« On doit continuer à travailler pour atteindre le 35 %, mais c’est le plus loin qu’on a pu en arriver après deux ans de travail », note cette dernière. Malgré le manque à gagner, FSC reconnaît le travail effectué et la démarche d’amélioration continue, ce qui permet à RYAM de conserver sa certification FSC.

« On veut poursuivre le travail et éventuellement, on aimerait établir une aire protégée, souligne Benoit Croteau. Il faudra aussi s’arrimer avec l’Ontario parce que le caribou ne sait pas quand il traverse la frontière. »

Malgré une demande média faite le 9 février dernier, ainsi que plusieurs relances depuis, le MFFP n’avait pas répondu au Progrès, au moment de mettre sous presse, pour définir l’importance d’un tel projet dans le cadre de la préparation du Plan de rétablissement du caribou forestier, qui devrait voir le jour en 2023.

Bien que le MFFP ait été impliqué activement, et que son travail a été souligné par tous les intervenants du comité caribou, c’est Québec, en tant que propriétaire et gestionnaire des forêts publiques, qui détient le dernier mot pour entériner les mesures proposées par le comité de travail conjoint.

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Un premier pas pour protéger la harde Détour-Kesagami

On retrouve seulement 5 % de l’aire de répartition de la harde Détour-Kesagami au Québec, alors que la majeure partie se trouve en Ontario. À cheval sur deux provinces, il est encore plus difficile de coordonner les efforts de protection.

« À l’heure actuelle, on ne sait même pas exactement combien il y a de caribous dans la harde », soutien Benoit Croteau, de Pikogan, notamment parce que les inventaires ne sont pas coordonnés.

Le travail entamé par RYAM au Québec n’est donc qu’une partie de la tâche à réaliser à l’échelle de la population. De plus, l’implication des entreprises minières de la région sera nécessaire pour limiter l’impact sur le territoire.

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DES IMPACTS SUR LES OPÉRATIONS FORESTIÈRES

Pour en arriver à un plan de protection solide, RYAM a consenti à reporter, de 15 à 50 ans, ou ralentir la récolte dans plusieurs secteurs. Ces reports permettent de réduire la proportion de perturbation dans l’habitat essentiel du caribou et de tendre vers un taux de 35 %. L’entreprise a donc concentré la récolte dans les secteurs moins fréquentés, tout en assurant une connectivité entre les zones à forte valeur de conservation.

La stratégie prévoit aussi la fermeture de chemins forestiers, un dossier épineux. Jusqu’à maintenant, un seul kilomètre de chemin a été fermé. Étant donné que plusieurs utilisateurs avaient d’énormes craintes, les intervenants ont commencé par faire la liste des intouchables, en précisant tout ce qui ne fermerait pas. De plus, il n’est pas possible de fermer un chemin où un utilisateur a des droits sur le territoire. Ces constats de base en ont rassuré plusieurs et la fermeture des chemins à venir est le prochain dossier complexe sur lequel se penchera l’équipe caribou.


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