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Deux degrés maximum

Un article publié dans Nature Communications fixe le seuil de réchauffement pour la productivité de la forêt boréale.

16 août, 2018  par Actualités UQAM



Au-delà de deux degrés, les gains de productivité que le réchauffement climatique devrait entraîner dans l’exploitation de la forêt boréale pourraient se transformer en un déclin accéléré. C’est la principale conclusion d’un article qui vient d’être publié dans Nature Communications et dont l’auteur principal est Loïc D’Orangeville, post-doctorant et chercheur au Centre d’étude de la forêt. Selon cet article, intitulé Beneficial effects of climate warming on boreal tree growth may be transitory, une augmentation de la température de deux degrés pourrait donner lieu à un gain de productivité d’environ 13% sur l’ensemble de la forêt boréale de l’Est du Canada, mais un réchauffement plus intense pourrait renverser cette tendance et conduire à des baisses importantes, exacerbées par la sécheresse qui en résulterait.

«Bien des gens dans le secteur forestier s’imaginent que le réchauffement va améliorer la performance de la forêt boréale, dit Loïc D’Orangeville. Comme le froid est un facteur limitant la croissance des arbres, cela peut être vrai. Mais cela peut aller complètement à l’inverse selon l’endroit où l’on se trouve – dans le nord, au sud, à l’est ou à l’ouest –, selon les espèces  et selon l’importance du réchauffement. Et ce que nous avons découvert, c’est qu’au-delà d’un seuil de deux degrés, les gains enregistrés à certains endroits pourraient être annulés par les pertes subies ailleurs.»

Menée en collaboration avec le professeur du Département des sciences biologiques Yves Bergeron, titulaire de la Chaire industrielle CRSNG/UQAT/UQAM en aménagement forestier durable, et son collègue Daniel Kneeshaw, également membres du Centre d’étude de la forêt, ainsi qu’avec des chercheurs du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec et de l’Université de l’Indiana, l’étude repose sur des scénarios de croissance de six espèces clés de la forêt boréale établis en fonction de différents modèles de réchauffement climatique et de précipitations futures.

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Une base de données forestières unique au monde

«Nous avons la chance, au Québec, d’avoir accès à une somme de données extraordinaire sur la forêt, compilées depuis 40 ans par les employés du gouvernement, dit Loïc D’Orangeville. Il s’agit de la base de données forestières la plus détaillée au monde et cela est dû au fait que plus de 90% de la forêt appartient au domaine public et est donc géré par le gouvernement.»

Les chercheurs ont exploité cette mine de données pour bâtir leurs projections. En effet, les scénarios de croissance des espèces étudiées ont été établis en fonction de données sur la croissance des arbres distribués partout sur le territoire québécois. «À titre d’exemple, pour prévoir comment réagira l’épinette noire dans le nord de la forêt boréale à un réchauffement de deux, trois, quatre ou cinq degrés, nous avons regardé comment elle se comporte actuellement dans un secteur où il fait deux, trois, quatre ou cinq degrés de plus», explique Loïc D’Orangeville.

La forêt boréale compte très peu d’espèces d’arbres, note le chercheur. «En comparaison avec la forêt tropicale ou même avec la forêt tempérée, la forêt boréale est très pauvre en termes de diversité. Mais les arbres sont distribués sur d’immenses superficies et tolèrent de grands gradients de climat. Par exemple, on trouve des épinettes noires à limite de la toundra et d’autres autour de Montréal. C’est ce qui nous a permis de faire cette étude.»

Les chercheurs ont construit des scénarios pour chacune des six espèces étudiées afin de voir jusqu’à quel point ces essences peuvent tolérer le réchauffement prédit par les modèles climatiques. «Les modèles prédisent tous un réchauffement, mais la magnitude du réchauffement varie de l’un à l’autre, observe le biologiste. En ce qui concerne les précipitations, certains prédisent de larges augmentations, d’autres des augmentations marginales et d’autres encore, des baisses. Nous avons donc simulé la croissance des espèces en fonction de différentes combinaisons de ces modèles.»

Risque de sécheresse

Les scénarios de croissance des arbres doivent, en effet, tenir compte non seulement de la température, mais aussi de l’humidité. Car si un allongement de la période de croissance due au réchauffement est bénéfique, une augmentation des températures qui se traduit par une sécheresse accrue peut, au contraire, s’avérer nuisible, particulièrement pour certaines espèces. «Quand il fait chaud, il y a davantage d’évaporation et de transpiration, note le chercheur. S’il manque d’eau, l’arbre arrête de faire de la photosynthèse et, si cela se prolonge, il dépérit.»

Dans le sud, certaines espèces comme les sapins et les épinettes sont déjà à la limite de leur tolérance à la chaleur et à la sécheresse. D’autres arbres, comme le pin gris, qui pousse souvent dans des endroits arides et sableux, sont davantage tolérants. Les deux espèces de feuillus étudiées, le tremble et le bouleau blanc, ont également plus de facilité à s’adapter à un climat plus chaud et plus sec.

«Si on ajoute un ou deux degrés, le bilan net de la forêt boréale du Québec est positif, dit Loïc D’Orangeville. Les pertes subies dans le sud sont compensées par les gains dans le nord. Au-delà de deux degrés, la ligne de fracture entre les zones de déclin et de croissance monte tellement au nord que le bilan devient négatif.»

Encore une fois, cela dépend du modèle de précipitations adopté. «Le déclin sera moins prononcé s’il y a une augmentation des précipitations», souligne le biologiste. D’autres facteurs, comme les invasions d’insectes ravageurs, qui semblent plus fréquentes avec le réchauffement, ainsi que les feux de forêt sont difficiles à prendre en compte. «L’augmentation de la croissance des arbres pourrait compenser en partie pour des feux plus fréquents, dit Loïc d’Orangeville. Mais s’il y a trop de feux et que les arbres n’ont pas le temps de produire des graines avant de brûler, on parle d’un échec de régénération. Cela pourrait avoir des conséquences pires qu’une baisse de la croissance.»

Des espèces pour le futur

Les résultats des chercheurs plaident en faveur d’un effort accru pour contenir la hausse de la température planétaire sous la barre des deux degrés, comme le prévoit l’Accord de Paris adopté en 2015. Mais cette bataille semble d’ores et déjà perdue. «On parle d’une augmentation, d’ici la fin du siècle, de trois, quatre ou cinq degrés, mentionne le post-doctorant. Cela signifie que l’espèce qu’on plante aujourd’hui à un endroit ne sera pas peut-être pas tolérante au climat local dans 60 ans. On plante près de 100 millions d’arbres par année au Québec, dont 95% des trois mêmes espèces: l’épinette noire , le pin gris et un peu d’épinette blanche. Il faudrait ajuster nos stratégies et peut-être augmenter la diversité de nos plantations.»

Le chercheur et ses collègues préparent d’ailleurs un autre article fondé sur leurs recherches. «Cet article portera sur l’aménagement des forêts, dit Loïc D’Orangeville. On examinera quelles espèces planter ou favoriser  en fonction des types de sol, de l’âge du peuplement et d’autres variables pour minimiser les pertes de croissance. On veut proposer, en quelque sorte, un guide de survie  aux changements climatiques.»


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