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Opérateurs forestiers : combler le fossé entre l’école et l’industrie

18 septembre, 2019  par Guillaume Roy



Un fossé existe entre le diplôme d’études professionnelles et le travail d’opérateur forestier. Les jeunes qui sortent des bancs d’école n’atteignent que 25 % du rendement requis pour être efficace et payant pour leurs employeurs sur le marché du travail. Pour combler ce fossé, des entreprises et des organismes investissent pour accompagner davantage les opérateurs en herbe afin d’offrir un meilleur rendement.

Sur un parterre forestier situé au kilomètre 74 sur le chemin de la Domtar, au nord de Dolbeau-Mistassini, Mathieu Pelletier place des billes de bois de manière précise pour faire de beaux empilements en bordure de la route. Même s’il doit encore gagner en rapidité, la qualité est impeccable, selon son superviseur ; il est déjà satisfait du parcours accompli depuis le début de son perfectionnement. « Quand je suis arrivé, je faisais deux ou trois voyages par jour, alors que j’en fais maintenant sept », soutient l’opérateur du transporteur, persuadé de pouvoir atteindre le rendement requis par l’industrie.

Pourtant, Mathieu a pensé délaisser le métier d’opérateur, lorsqu’il a été remercié, quelques semaines après avoir décroché son premier emploi en forêt, après avoir terminé son diplôme en abattage et façonnage des bois au Centre de formation professionnelle de Dolbeau-Mistassini. En arrivant sur le marché du travail, il a rapidement constaté qu’il manquait d’expérience pour être autonome et pour atteindre le rendement voulu par son employeur. 

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Ce genre d’expérience ne fait pas l’exception dans l’industrie forestière, car même s’il existe une pénurie de main-d’œuvre, les entrepreneurs forestiers ne peuvent se permettre de superviser et de « coacher » un jeune pendant plusieurs semaines en attendant qu’il devienne productif. 

Coûts importants

En plus du salaire de l’opérateur, le coût de la machinerie est énorme, jusqu’à 150 dollars de l’heure, et les employés doivent fournir un rendement minimal pour être rentables, soutient Stevens Pitre, le directeur général de For Excel, un organisme sans but lucratif créé par Remabec pour accompagner les jeunes opérateurs dans leur parcours après leur DEP. Selon ce dernier, plusieurs jeunes prometteurs ont délaissé le travail en forêt, car il existe un trou dans la formation entre l’école et le milieu du travail. « C’est un drame de perdre de bons travailleurs, mais c’est un monde dur, parce que les entrepreneurs ne peuvent pas supporter ce coût dans un contexte de production », explique l’homme qui est responsable du projet-pilote lancé il y a un an. 

C’est pour renverser cette tendance que Remabec a investi trois millions de dollars dans la machinerie forestière dans le but de créer ce projet pilote de formation, piloté par For Excel, en plus d’éponger les coûts de formation. « En sortant de l’école, les jeunes atteignent environ 25 % de l’efficacité requise dans l’industrie et on veut leur permettre d’atteindre au moins 75 % pour leur permettre de percer le marché du travail », dit-il. Pour y arriver, les jeunes passent entre huit et 15 semaines en forêt, en travaillant 10 heures par jour et en habitant dans des camps forestiers, pour vivre une expérience le plus près de la réalité et, du même coup, pour perfectionner leur technique de travail. Ils y sont nourris, logés et payés à un tarif près de ce que l’on retrouve en forêt. Les jeunes opérateurs sont épaulés par deux mécaniciens, pour les aider à réparer les machines, et par Daniel Simard, un formateur-contremaître qui compte 21 ans d’expérience en forêt. 

Pour Mathieu Pelletier, c’est exactement le genre de perfectionnement dont il avait besoin pour relancer sa carrière. « Ça me permet d’être plus autonome, de faire de la meilleure qualité et d’augmenter ma production sans avoir le stress de produire à tout prix », soutient le jeune homme de 19 ans, natif de Lévis. 

D’autres opérateurs, comme Martin Savard, ont été recrutés par For Excel directement sur les bancs d’école. « Après ma formation, je ne me sentais pas prêt et je n’avais pas confiance d’être assez rapide », admet le Dolmissois de 31 ans. Huit semaines après avoir été pris en charge par For Excel, il a maintenant atteint les objectifs de l’entreprise et fera le saut sur le marché du travail le 26 septembre prochain, au sein de Multi RPM, une filiale de Remabec.

Jonathan Bradette reçoit les conseils de Frédéric Cyr, ingénieur forestier et chargé de projet au CSMOAF, et de Daniel Simard, un formateur-contremaître qui compte 21 ans d’expérience en forêt.

FINANCER LES INVESTISSEMENTS DANS LA RELÈVE

Former un jeune de la relève pour atteindre les standards de l’industrie peut coûter près de 30 000 $, soutient Stevens Pitre, le directeur général de For Excel, car les sommes recueillies avec la vente de bois ne suffisent pas à combler les frais d’exploitation.

Pour aider les entreprises à mettre sur pied de telles formations, le Comité sectoriel de main-d’œuvre en aménagement forestier (CSMOAF) a mis sur pied un programme de relève des entrepreneurs forestiers, avec l’objectif de former 18 jeunes cette année, à différents endroits au Québec. Des formations pratiques de huit semaines (256 heures) sont ainsi financées pour intégrer un jeune dans l’entreprise. Comme ce financement cadrait exactement avec les activités de For Excel, les quatre premières formations financées ont été réalisées avec ces derniers.

En plus de financer le salaire des opérateurs, une partie des frais de machinerie peuvent aussi être inclus dans le projet, explique Frédéric Cyr, chargé de projet au CSMOAF. Ces formations permettent aux jeunes opérateurs de gagner de l’expérience et ainsi de devenir plus productifs avant d’occuper un poste à temps plein. 

Des formations financées par le CSMOAF, en voirie forestière, ont aussi été offertes à Mont-Laurier, en collaboration avec le CFP de Mont-Laurier et Produits forestiers Résolu. 

UN SERVICE CLÉ EN MAIN

En plus d’offrir du perfectionnement pour la main-d’œuvre, For Excel offre carrément un service clé en main de suivi professionnel et de placement dans les entreprises. Ce rôle est accompli par Steve Perron, le mentor de Remabec pour la récolte forestière, qui suit les jeunes de la sélection jusqu’à leur placement en entreprise, principalement dans une des 15 filiales du groupe. « Je suis là pour faciliter leur intégration en entreprise et, au besoin, pour régler les conflits rapidement », soutient l’homme qui visite les opérateurs presque chaque semaine en forêt. Pour l’instant, l’expérience est positive pour les huit opérateurs placés en entreprise. Mais si ça ne fonctionne pas, Steve Perron sera là pour trouver des solutions en orientant le candidat vers un autre entrepreneur, en tenant toujours compte des besoins humains de chaque travailleur.

AUSSI BÉNÉFIQUE POUR LES ENTREPRISES

En plus d’aider les jeunes à se placer sur le marché du travail, cette initiative vient aussi en aide aux entreprises forestières, notamment aux 15 filiales de Remabec, ainsi qu’aux entrepreneurs qui travaillent pour le géant forestier. Multi RPM, qui avait notamment perdu plusieurs opérateurs, a pu regarnir ses rangs en embauchant trois jeunes formés par For Excel. 

Selon Jonathan Bradette, un opérateur de 18 ans de Saint-Félicien, tous les étudiants devraient suivre une telle formation de perfectionnement. « Je manquais d’expérience et je ne me sentais pas prêt, dit-il, six semaines après avoir commencé à travailler pour For Excel. On m’a donné plein de trucs pour gagner de la vitesse et améliorer la qualité de mon travail. »

Même son de cloche pour Samuel Ménard, un Félicinois de 24 ans. « Ça prend ça avant de pouvoir commencer à travailler dans le bois », dit-il. 

Malgré la nécessité d’amener les jeunes opérateurs à niveau pour atteindre les besoins de l’industrie, Stevens Pitre estime que la formation offerte par les CFP est incontournable. « On a fait des essais avec des jeunes sans expérience et ça n’a pas été concluant, dit-il. Le CFP permet notamment d’apprendre les bases, l’importance de la santé et sécurité au travail, les règles environnementales, mais ils ont une limite de temps pour offrir la formation. Nous, on peut prendre le temps qu’il faut pour atteindre les performances nécessaires tout en développant le savoir-être. »

Pour l’instant, les formations sont destinées aux filiales et aux entreprises qui travaillent avec Remabec, mais For Excel est ouvert à l’idée d’offrir des formations à forfait à d’autres entreprises forestières.

Jonathan Bradette, un opérateur de 18 ans de Saint-Félicien, croit que tous les étudiants devraient avoir accès à une telle formation de perfectionnement.Jonathan Bradette, un opérateur de 18 ans de Saint-Félicien, croit que tous les étudiants devraient avoir accès à une telle formation de perfectionnement.

For Excel souhaite amener les jeuens opérateurs à atteindre 75% du rendement requis sur le marché du travail.For Excel souhaite amener les jeuens opérateurs à atteindre 75% du rendement requis sur le marché du travail.


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