Opérations Forestières

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Quelques mythes et réalités en lien avec la réponse des forêts québécoises aux changements climatiques

30 avril, 2020  par Daniel Kneeshaw, sciences,UQAM.ca



Les changements climatiques, qui devraient être plus importants dans les écosystèmes de haute latitude, bouleverseront nos forêts dans les années à venir.  Les menaces viendront de plusieurs fronts : une augmentation des feux de forêt, des épidémies d’insectes potentiellement plus sévères, ainsi qu’une augmentation des sécheresses et coups de chaleur.  Ailleurs dans le monde, on voit déjà des signes inquiétants : les grands feux en Australie, en Californie et en Alberta, les épidémies d’insectes qui se rendent sur des territoires épargnés dans le passé (comme le dendroctone du pin qui a traversé les Rocheuses vers l’est), et les centaines de millions d’arbres morts à cause des sécheresses en Californie, au Texas, en Chine, en Europe et même dans les forêts tropicales humides de l’Amazonie et du nord de l’Australie.

Au Québec, on peut se demander, surtout en raison des nombreuses communautés dépendantes de la foresterie en région : qu’est-ce que l’avenir réserve pour nos forêts? Déjà, les années 2000-2019 ont été parmi les plus chaudes et les plus sèches du dernier siècle. La réponse de nos forêts à ces changements pourrait nous donner des indices quant aux changements de l’avenir. Nous pouvons nous demander si la croissance de nos forêts diminuera et si la mortalité augmentera avec un assèchement tel que celui observé ailleurs dans le monde.

Mythe 1 : L’assèchement climatique sera néfaste pour toutes les forêts.

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Pour répondre à cette question, nous avons utilisé la dendrochronologie, l’étude des cernes de croissance d’un arbre dominant et emblématique de la forêt boréale: l’épinette noire.  Grâce au travail des techniciens du Ministère des forêts, de la faune et des parcs nous avons réussi à analyser presque 27000 séries de cernes de croissance prélevés auprès d’épinettes noires dans un territoire de plus de 580 000 km2, pour tester l’hypothèse que la croissance diminuera lors des périodes sèches.  Nos analyses ont montré que dans le sud-ouest du Québec, l’eau au sol a été fortement corrélée à la croissance des tiges des épinettes noires qui s’y retrouvaient.  Cependant, on a observé le contraire au nord-est de la forêt boréale québécoise. Dans cette région, les arbres ont moins poussé quand l’eau du printemps était abondante. Les meilleures croissances ont été observées lors des années sèches au printemps. La grande quantité de neige qui tombe l’hiver au Québec, plus de 6 mètres dans plusieurs endroits, et la fonte tardive, font que les sols sont gelés et par la suite imbibés d’eau jusqu’à la fin mai, voire jusqu’au début de juin.  Ces sols froids et humides, qui empêchent la croissance des arbres et donc un réchauffement et un assèchement au printemps, seraient potentiellement bénéfiques pour la croissance des arbres dans le nord-est du Québec même si le contraire est vrai dans le sud-ouest du Québec et dans d’autres régions chaudes et sèches comme l’Ouest canadien.  Donc « trop d’eau, c’est comme pas assez » quand on considère la croissance des arbres au printemps.

Mythe 2 : Les traits (caractéristiques) d’une espèce déterminent sa vulnérabilité à la sécheresse.

Nous avons donc décidé de confronter nos opinions avec les données pour évaluer la résistance des espèces boréales aux sécheresses au Québec.

Nous avons remarqué aussi que les observations et trouvailles d’ailleurs ne s’appliquent pas toujours bien chez nous. Dans l’Ouest canadien, des chercheurs étudiant les traits fonctionnels des arbres ont proposé une échelle de résistance des arbres de la forêt boréale canadienne à la sécheresse. Selon leur proposition, les arbres comme le peuplier faux-tremble seraient très vulnérables à la sécheresse. Nos observations au Québec nous ont amenés à questionner ceci.  Nous avons donc décidé de confronter nos opinions avec les données pour évaluer la résistance des espèces boréales aux sécheresses au Québec. Pour ce faire, nous avons regardé des milliers de placettes de suivi de l’état vivant ou mort des différentes espèces d’arbres au Québec de 1970 à 2010.  Nous avons observé une mortalité accrue des espèces comme le bouleau blanc et le sapin baumier durant cette période dont la mortalité a été reliée aux indices de climat (augmentation de chaleur et diminution de précipitations). En contraste partiel aux résultats de l’Ouest canadien, deux espèces boréales se sont montrées très résistantes aux sécheresses : le peuplier faux-tremble (classé peu résistant) et le pin gris (classé très résistant). Notre analyse de cinquante ans de données de mortalité et de survie au Québec montre ainsi que les conclusions tirées d’ailleurs sur la réponse des arbres aux sécheresses devraient être validées au Québec.

Mythe 3 :  Les mécanismes de résistance des régions déjà soumises aux stress hydriques seraient les mêmes au Québec.

Plusieurs arbres des régions sèches, les espèces dites iso-hydriques, ferment leurs stomates lors d’une sécheresse pour réduire la perte d’eau et minimiser la rupture des colonnes d’eau nécessaires pour le transport d’eau des racines vers des feuilles. La cavitation ou l’embolisme dans une colonne d’eau, si répandu dans plusieurs vaisseaux (tuyaux) dans un arbre, peut mener à sa mort. La stratégie de fermer les stomates lors des moments secs peut protéger un arbre. Cependant, si les stomates sont fermés trop longtemps, un arbre peut « mourir de faim » en raison de l’arrêt de la photosynthèse et du manque de production de glucides.

Dans les serres de l’UQAM, nous avons fait subir à des semis de pin gris, un gradient de stress hydrique…

Dans les régions sèches, les pins sont considérés résistants aux sécheresses grâce à leur capacité à fermer leurs stomates et donc à prévenir la perte d’eau lors d’une période sèche. Nous avons proposé que nos pins au Québec, souvent associés aux milieux secs, utiliseraient la même stratégie pour être résistants aux sécheresses. Dans les serres de l’UQAM, nous avons fait subir à des semis (jeunes arbres) de pin gris, un gradient de stress hydrique, avec l’attente que la photosynthèse et la croissance diminueraient avec une réduction d’eau disponible. Les conditions contrôlées des serres nous ont permis de tester précisément les quantités d’eau et de chaleur reçues par chaque arbre. En contraste avec d’autres espèces évaluées lors de cette expérience, nous n’avons pas observé un changement de photosynthèse ou de croissance chez le pin gris, comme nous nous attendions.  Comment donc est-ce que le pin gris peut si bien croître dans les milieux secs si ses stomates semblent rester ouverts pour permettre la photosynthèse et la croissance?  Nous avons supposé que la phénologie (le « timing » ou moment) du début de croissance pourrait s’avérer être la solution. Effectivement, nos observations montrent que le pin gris commence à pousser rapidement après la fonte des neiges, en fait deux à quatre semaines plus tôt que d’autres espèces boréales. Cette croissance hâtive permettrait au pin gris d’éviter un manque d’eau qui pourrait arriver plus tard dans la saison. L’adaptation du pin gris à l’hiver et à la neige permettrait à cette espèce d’employer des stratégies différentes de ses consœurs des pays sans neige.

Ces trois exemples, montrent que certains exemples des travaux de la Chaire stratégique de l’UQAM sur les vulnérabilités et la résilience des arbres aux changements climatiques.


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