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Mauvais calculs?

Des experts, dont le nouveau président de l’ordre des ingénieurs du Québec, critiquent la démarche de détermination des calculs menée par le Forestier en chef, jugé trop complexe et imprécis.

25 mai, 2015  par Alain Castonguay


François Laliberté, était vice-président de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec (OIFQ) lors de la conférence, et a été nommé président en mai dernier. Il s’inquiète des répercussion de la spatialisation des calculs.

Le Bureau du Forestier en chef (BFEC) a défendu ses calculs de possibilité forestière dans le cadre d’un séminaire de deux jours, organisé conjointement avec l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec, à Lac-Delage au début de décembre dernier.

 

À chaque présentation, des questions très pointues étaient soulevées, notamment par le consultant François Bergeron, de même que par François Laliberté et Greg Paradis, du consortium Forac de l’Université Laval. M. Laliberté était vice-président de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec (OIFQ) lors de la conférence, et a été nommé président en mai dernier. M. Paradis termine ses études au doctorat et il analyse les méthodes de calculs de la possibilité de récolte.

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Mais qu’est-ce qui cloche dans cet exercice de modélisation ? « Le calcul est fait dans une bulle. Ensuite, on le transfère à quelqu’un d’autre. Et puis c’est fini, on ne peut retourner en arrière, il est trop tard », résume Greg Paradis. En refaisant les calculs tous les cinq ans, le BFEC ajuste le tir en espérant ne pas trop s’éloigner de la réalité. Mais si l’hypothèse de départ est erronée, on ne fait que perpétuer l’erreur dans le temps, disent-ils.

Le volume non récolté
« Le calcul détermine l’offre, sans tenir compte de la demande », souligne François Laliberté. C’est la commande que reçoit le Forestier en chef. « Or, on sait qu’il y a des secteurs et des types de forêts où le volume est moins accessible, ou encore des essences qui sont moins désirées et demandées », ajoute-t-il.

« Ce volume non récolté (VNR) était facilement prévisible et on pouvait l’inclure dans le calcul. On ne peut le prévoir au mètre cube près, mais il y en a toujours eu historiquement, des attributions non récoltées. Et la proportion du volume alloué qui n’est pas récoltée est très stable », croit Greg Paradis.

« Il serait relativement facile d’intégrer le VNR dans le calcul », confirme François Laliberté. Les contraintes d’exploitation sont déjà prévues dans le volume offert, et elles expliquent en bonne partie la quantité de bois qui n’est pas récoltée. Ces contraintes sont parfois si lourdes que l’on sait déjà que personne ne voudra les payer, dit-il.

Greg Paradis insiste à propos du VNR. « On ne parle pas d’une erreur d’un pour cent. On surestime de 100 % la récolte dans certains types de forêt, puisqu’à peine la moitié du volume prévu est effectivement récoltée. À certains endroits, c’est à peine 25 % du volume qui est vraiment coupé. » En faisant cela, on se prive d’opportunités intéressantes, ajoute François Laliberté.

Stratégie incomplète
Les deux experts reconnaissent les « gros efforts » réalisés par le BFEC pour intégrer les nouvelles demandes sociales dans la détermination de la possibilité de récolte. Le résultat préliminaire du calcul de possibilité forestière (CPF) est transmis aux directions régionales, qui déterminent la stratégie d’aménagement et traduisent cela en hectares de travaux à réaliser dans les prochaines cinq à dix années. Mais on oublie les besoins des industriels dans le processus.

« On alimente le volet stratégique par du contenu tactique sans expliquer pourquoi, sans dire comment ça fonctionne et quel est le résultat attendu. Et le BFEC ne peut même pas vérifier si la stratégie qui découle du calcul correspond aux besoins, car ceux-ci n’ont pas été exprimés. On a dit le comment, mais pas le pourquoi », poursuit Greg Paradis.

Il arrive parfois que le Forestier en chef constate que la stratégie dans telle unité d’aménagement ne s’arrime pas avec le CPF, car l’on ne trouve pas les superficies sur le territoire. Mais les ingrédients de la recette d’aménagement sont très peu flexibles, selon François Laliberté. Une fois approuvé par le ministre, le CPF est transmis à la direction du Ministère qui s’occupe des attributions. À cette étape, le volume alloué historiquement aux usines est considéré, même si l’utilisation du territoire a beaucoup changé depuis 30 ans. Selon lui, les gens du BFEC « font un beau travail avec la mission qu’on leur a donnée. Le problème, c’est que la mission n’est peut-être pas bonne pour rendre le service qu’on attend du milieu forestier ».

Depuis 2013, le Ministère assure la planification pour tous les utilisateurs. « Mais il n’a pas nécessairement la structure, les outils, les processus requis, selon moi, pour s’assurer que l’on utilise le potentiel de manière optimale », ajoute M. Laliberté. De l’avis de Greg Paradis, le Forestier en chef remplit la commande que l’État lui fournit. « Le seul contexte dans lequel son existence a du sens, c’est au beau milieu d’un système de production de bois », dit-il.

Le tampon
Au Ministère, on a longtemps prétendu que les erreurs dans la détermination du CPF ne sont pas graves, car on le révise tous les cinq ans. De plus, les attributions sont moindres que la possibilité, et la récolte est inférieure aux attributions. Cela crée un effet de tampon qui semble sécuritaire.

Greg Paradis constate que la volonté de mesurer l’impact du VNR n’existe pas au BFEC, même s’il en a les moyens. Ses recherches menées au doctorat lui font dire avec certitude que cet impact, dans certaines circonstances et selon le territoire, est loin d’être négligeable. Selon lui, il n’y a presque aucun cas de figure où le concept du tampon (« buffer ») associé au VNR a un effet neutre sur la possibilité de récolte dans le futur.

Peu importe que cette non-récolte provoque une rupture de stock ou un surplus de bois, le résultat est tout aussi gênant, selon M. Paradis. « Dans un cas, on contraint l’industrie pour rien, si on a plus de bois que ce que l’on pensait. Dans l’autre cas, il y a moins de bois que ce qu’on prévoyait, donc il faut la contraindre davantage. » Déterminer correctement le calcul est un exercice d’équilibre où l’on tente de prélever au mieux la ressource sans nuire aux générations futures. « Si on a des raisons de croire qu’il existe des choses qui peuvent affecter cet équilibre, il faudrait au moins faire des tests », poursuit Greg Paradis.

En préparant ses nouveaux calculs 2014-2018 et son Manuel de détermination des possibilités forestières, le BFEC a consulté divers spécialistes. Greg Paradis affirme avoir reçu la même absence de réponse à ses questions. On se contente de lui dire : « On sait ce qu’on fait » sur un ton qui signifie pour lui : « Mêle-toi de tes affaires! ». Il a même proposé ses services bénévolement pour valider certaines hypothèses, mais sa proposition a été ignorée.

Complexité et agilité
Le modèle actuel de simulation est devenu très gros, mais sa précision n’est guère meilleure que ce qui est fait dans d’autres provinces ou des États américains. « Sans exagérer, on met probablement entre deux ou trois ordres de grandeur de plus de détails, donc de 100 à 1000 fois plus d’information dans le modèle, comparativement à ce qu’il se fait ailleurs », explique Greg Paradis. Selon lui, il y a une fausse corrélation entre le volume d’intrants et la qualité du résultat final. Avec un modèle plus simple, l’effort requis pour obtenir une prédiction moyennement précise n’est pas énorme, affirme M. Paradis. Cette marge de manœuvre supplémentaire permettrait au BFEC de réagir de manière plus agile et rapide en fonction de l’évolution des connaissances.

Afin que la planification hiérarchique fonctionne, on doit pouvoir faire des rétroactions entre chacun des liens. Il y en a un peu, mais pas assez, souligne François Laliberté. « Quand le Forestier en chef livre ses calculs, il est déjà occupé à faire les prochains », dit-il. Le BFEC prépare déjà les prochains calculs qui couvriront la période 2018-2023. Il faudra donc attendre encore pour espérer du changement, déplorent les deux chercheurs.

Le système utilisé pour réaliser le CPF est doté d’un module de spatialisation, qui répartit le volume de bois à récolter sur le territoire. La commission Coulombe en a fait une de ses principales recommandations. Le BFEC a acheté un logiciel qui fait cet exercice. Greg Paradis fait une analogie avec une machine à calcul de bande dessinée. « Il y a un gros bouton rouge, c’est écrit : SPATIAL. Tu pèses dessus, et apparemment, ça spatialise les plans. Ce que ça fait surtout, c’est toujours faire baisser la possibilité », de l’ordre de 10 à 30 %. Cette répartition des coupes est faite pour la prochaine période quinquennale. « Si chaque fois que tu pèses sur le bouton, la possibilité baisse de 20 %, ça veut dire que ton calcul initial ne fonctionne pas », dit-il.

François Laliberté poursuit : « En fait, c’est une démonstration par l’absurde de ce qu’ils refusent de démontrer. » Mais il est impossible de discuter de cela avec le BFEC, et son personnel a évité les questions là-dessus lors du séminaire. En incluant l’itération de la spatialisation dans le calcul dès le départ, et non après le calcul, on obtient un nouvel agencement, une nouvelle solution « plus réaliste », estime-t-il.

« Personne au BFEC ne sait comment marche le bouton SPATIAL » , maintient Greg Paradis. Cette absence de remise en cause et de distance critique du produit obtenu du fournisseur rend l’exercice invalide, selon eux. Au BFEC, Jean Girard précise que son équipe a pourtant mené plus de 800 tests de validation. C’est bien, note Greg Paradis, mais ces tests sont menés pour vérifier des éléments qui sont déjà inclus dans le modèle et dont on ignore l’impact réel.

Il est possible que ce volume non récolté ne le soit jamais, car il est trop peu attrayant pour l’industrie, ajoute François Laliberté. En l’incluant quand même dans le modèle, on maintient le volume marchand disponible et on surestime la possibilité, même si c’est une fiction qui ne se réalisera jamais, dit-il.

La simulation vise à prévoir l’effet de la récolte et de la croissance des peuplements suivants. Dès la deuxième période de cinq ans de la simulation, la récolte qui sera faite correspond au cumul de la croissance du peuplement résiduel, et du résultat des travaux d’aménagement qui ont été faits dans les superficies coupées de la première période. L’inventaire du bois sur pied est mis à jour sur la base des travaux vraiment réalisés. Mais on ne vérifie pas la corrélation entre ce qui a été fait et ce qui avait été prédit, ajoute M. Paradis. « Si on ne repart pas de la même place où nous avions prévu que nous allions être, ça veut dire que tout le calcul a commencé à déraper dès la deuxième période. Et on en fait 29 périodes de plus. »

Le CPF vise à déterminer le moment où le volume disponible sera le plus bas sur l’horizon de 150 ans, afin d’éviter la rupture de stock. Cette contrainte arrive dans le futur, note François Laliberté, « et le futur dépend de ce que tu as récolté à chaque période ». Ce volume marchand disponible à la récolte, dont la limite minimale est imposée dès la première période, peut être plus ou moins important et se déplacer dans le temps selon le niveau de récolte à chaque période. Si on n’a aucune idée de l’impact du volume non récolté sur cette limite minimale, l’exercice de prévision est périlleux, conclut Greg Paradis.

 

 


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