Opérations Forestières

Nouvelles Nouvelles de l’industrie Aménagement forestier Femmes en foresterie Récolte
Louise et Fabiola, 9 millions d’arbres plus tard

16 novembre, 2022  par Guillaume Roy. Initiative de journalisme local



Après plus de trois décennies à reboiser les forêts québécoises, Louise Lalancette, 67 ans, et Fabiola Simard, 64 ans, ont planté plus de 9,2 millions d’arbres. Le secret de leur longévité : une attitude positive et la passion de la forêt. Rencontre avec deux reboiseuses hors norme.

Dans un boisé de La Doré, à proximité de l’usine de Produits forestiers Résolu, Louise Lalancette et Fabiola Simard chargent de petites épinettes noires dans les larges poches attachées à leur harnais, un geste répété des milliers de fois au cours de leur carrière.

Avec assurance, elles enjambent un fossé pour rejoindre le terrain à reboiser. Des troncs d’arbres et de grosses branches jonchent le parcours, ajoutant une dose de difficulté à la tâche. Selon les deux reboiseuses, le terrain est tout de même très beau comparativement à d’autres !

Louise Lalancette, 67 ans, et Fabiola Simard, 64 ans, ont planté plus de 9,2 millions d’arbres pendant leur carrière... jusqu’à maintenant.

Méthodiquement, elles se mettent au travail, creusent un trou, se penchent pour y déposer un arbre, avant d’entasser le sol avec leurs bottes. Puis, deux mètres plus loin, elles répètent le mouvement à nouveau.

Advertisement

Louise et Fabiola sont venues reboiser quelques instants afin de montrer à quoi ressemble leur travail pour Le Progrès, mais elles ont en fait terminé leur saison de reboisement au début d’octobre.

À elle seule

Fabiola Simard a commencé à reboiser en 1989, quand elle a décidé de retourner travailler après avoir eu ses quatre enfants. « Je ne voulais pas travailler au salaire minimum, parce que je savais que je devrais payer une gardienne, note la femme de 64 ans. J’ai suivi un cours de sylviculture avec mon mari et je me suis fait engager à la coop de Girardville. »

Après six semaines de plantation en forêt, son mari s’est trouvé un autre travail, mais Fabiola a persévéré. Trente-quatre ans plus tard, elle a mis en terre plus de cinq millions d’arbres. « Pour être précise, ça fait 5 086 227 arbres », lance Fabiola, qui a récemment fait le calcul cumulatif grâce aux relevés qu’elle reçoit chaque année.

Commencer sa carrière de reboiseuse à 38 ans

Louise Lalancette a pour sa part commencé sa carrière de reboiseuse à 38 ans. À l’époque, la mère de cinq enfants travaillait à temps partiel à la Caisse Desjardins. Question de lui trouver un travail à plein temps, son frère, alors directeur général de la Société sylvicole de Mistassini, l’a invitée à venir reboiser. Il n’en fallait pas plus pour que naisse une nouvelle passion. Aujourd’hui âgée de 67 ans, elle compte désormais 29 ans d’expérience comme reboiseuse. Au cours de sa carrière, elle a planté plus de 4,25 millions d’arbres. « Ça représente 5000 hectares ou 123 lots », lance fièrement la reboiseuse.

Un métier de liberté

« C’est difficile à expliquer, mais j’aime beaucoup ce travail-là. C’est comme une passion », soutient Louise, évoquant la liberté de se retrouver en forêt. « On peut décider quand on arrête de travailler, mais on est aussi payé plus si on décide de continuer », ajoute Fabiola. Pour les deux femmes, le mode de vie en forêt, à travailler six mois par année dans la grande nature, leur convenait beaucoup plus qu’un travail dans un bureau. « J’ai travaillé six mois dans une shop de couture et j’ai haï ça », note cette dernière.

Au fil des discussions, les deux femmes évoquent les merveilleux paysages et les levers de soleil dans la brume matinale vécus dans les forêts du Lac-Saint-Jean, mais aussi de la Baie-James, du parc de Chibougamau et de la Haute-Mauricie, des moments qui permettent de se sentir vraiment en vie. « Je me souviens d’un matin, près de Chibougamau, avec une pleine lune au bout du chemin, lance Louise. C’était tellement beau. »

Les deux reboiseuses soulignent qu’elles adorent le travail physique. Pour elles, c’est une excellente façon de garder la forme. Alors que plusieurs personnes perdent des capacités dans la soixantaine, elles se tiennent droites comme des chênes, souriantes, heureuses de faire un métier hors de l’ordinaire.

Le travail est pourtant éreintant, car dès le mois de mai (début juin cette année), il faut se lever vers 3 h 30, pour être à la Coopérative de solidarité de la Rivière-aux-Saumons, vers 4 h 30, afin de partir en forêt. Selon les zones à reboiser, le travail commence vers 5 h ou 5 h 30, pour se terminer vers 15 h, après près d’une dizaine d’heures de travail, parsemé de quelques courtes poses.

« L’objectif est d’aller le plus vite possible », remarque Fabiola, qui vise encore à faire 400 dollars ou presque par jour. Il faut toutefois adapter ses techniques de travail pour faire le métier de reboiseur aussi longtemps, en optimisant chacun de ses pas, souligne Louise.

« Je ne suis pas là pour me faire mal et être invalide pour le reste de mes jours », dit-elle, ajoutant qu’elle a « slacké » un peu avec le temps. Au cours de la dernière année, elle arrivait tout de même à gagner 300 à 325 dollars par jour la majorité du temps, mais elle arrivait à se contenter d’un 200 dollars par jour dans les terrains difficiles.

Leur productivité a d’ailleurs fait des jaloux, par moment, parce que des reboiseurs ne croyaient pas qu’elles étaient en mesure de planter plus d’arbres qu’eux. Ils étaient trop orgueilleux. D’autres hommes étaient aussi très impressionnés par le talent des deux reboiseuses d’expérience. Au fil du temps, elles ont rencontré quelques ours, mais sans poser de danger. « J’ai plus peur des guêpes », lance Fabiola, ajoutant qu’elles étaient particulièrement actives cet été.

Selon Louise et Fabiola, la pluie est leur pire ennemi, mais ce sont les terrains difficiles qui peuvent miner le moral. La clé du succès : avoir une attitude positive malgré les défis, estime Louise. « Quand tu arrives sur un terrain difficile, tu dois le voir comme s’il est beau quand même », dit la femme, qui applique la même philosophie à d’autres aspects de sa vie pour voir le beau côté des choses. « Des fois, je chiale un peu, mais je le clanche pour passer à un autre », renchérit pour sa part Fabiola.

Pour l’instant, elles ne savent pas encore si elles continueront à planter des arbres encore l’année prochaine. « Je vais le savoir au printemps, lance Fabiola. J’aime ça un peu moins qu’avant, mais le salaire m’attire encore, comme tout le monde. »

« J’ai mal nulle part, remarque Louise en souriant. Quand la saison finit, je vais travailler sur mon lot à bois. » Même son de cloche pour Fabiola. « On est en grande forme, dit-elle. On n’arrête pas », souligne la femme qui fait aussi son bois de poêle sur son lot, à l’automne.

Alors que leurs maris ont pris leur retraite, elles pourraient se laisser tenter, mais l’appel de la forêt demeure très fort. À marcher des milliers de kilomètres en forêt en reboisant le Québec, il y a de quoi être fier du chemin parcouru.


Imprimer cette page

Advertisement

Stories continue below