Opérations Forestières

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L’indéniable augmentation des coûts d’opération de la machinerie lourde

21 janvier, 2022  par Louis Dupuis, économiste et associé de S. Guy Gauthier Évaluateur Inc.



Nier cette évidence équivaut à dire que la terre est plate!

Au cours de ma carrière de plus de 30 ans dans le domaine bancaire et financier, j’ai analysé des milliers d’états financiers, allant de la très petite entreprise à la très grande entreprise, dont un grand nombre d’états financiers d’entrepreneurs forestiers. 

Étant spécialisé en financement de machinerie lourde (principalement pour les territoires du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de la Côte-Nord, la Haute-Mauricie, Chibougamau et Charlevoix), les entrepreneurs forestiers ont constitué une partie importante de ma clientèle. 

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Or, l’analyse de leurs résultats financiers est relativement simple. 

Selon le dernier sondage effectué par les revues Opérations forestières (OF) et Canadian Forest Industry (CFI) en 2020, l’entrepreneur forestier québécois moyen génère des revenus annuels de 1.74 million de dollars, opèrent de 1 à 3 machines, et emploi de 1 à 5 personnes, excluant le ou les actionnaires.

Ainsi, l’entreprise forestière a en général 4 postes de dépenses prépondérants, soit ; 1) salaires et avantages sociaux (DAS), 2) coûts de propriété de la machinerie (amortissement, intérêts sur la dette, etc.), 3) entretien & réparations de la machinerie, et 4) carburants & lubrifiants (voir graphique 1). 

Afin de démontrer quels sont les impacts de la hausse de ces postes de dépenses au cours des 20 dernières années sur les coûts d’opération horaire des entrepreneurs forestiers, nous avons compilé le taux de location horaire d’une débusqueuse à grappin avec opérateur  (classement 08) code 0814 (Tigercat 630, John Deere 748, 848, Caterpillar 545, etc.) éta-bli dans le répertoire Taux de location de machinerie lourde avec opérateur et équipements divers [1] 

Dans un premier temps, nous avons comparé l’évolution du taux de location horaire d’une débusqueuse à grappin avec opérateur (TLHDGO), où nous pouvons constater une croissance de 49.2% sur 20 ans, avec le salaire hebdomadaire moyen du secteur forestier [2]. Avec une augmentation de 42.3% (en 19 ans), nous pouvons voir une nette corrélation entre l’augmentation des coûts de main-d’œuvre et l’augmentation du TLHDGO  (voir ligne orange du graphique 2). On peut même constater que la hausse des salaires s’accélère davantage depuis 2017 (13.9% sur 3 ans), ce qui est fort probablement occasionné par la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur forestier. Les entrepreneurs forestiers doivent maintenant rivaliser d’imagination pour attirer des opérateurs qualifiés et performants en offrant, notamment, de meilleures conditions salariales et d’autres avanta-
ges pécuniaires. 

Dans un second temps, nous avons analysé les effets du prix de vente moyen d’une débusqueuse à grappin en Amérique du Nord (Canada-USA) en dollar canadien [3] de 2002 à 2021 (voir ligne rouge graphique 3). Avec une augmentation de 49.2% sur 20 ans, ici encore nous pouvons noter une nette causalité entre l’accélération des prix d’une débusqueuse et celle du TLHDGO. 

Évidemment, la croissance des prix de la machinerie influence directement les coûts de financement, avec des versements mensuels proportionnellement accrus. 

De plus, il est déjà à prévoir que, de façon générale, cette augmentation des prix de la machinerie lourde sera encore plus significative en 2021 et possiblement en 2022, en raison de la pandémie. En effet, les arrêts de production des manufacturiers d’équipements, la hausse des prix de l’acier, la pénurie de composantes (moteurs, pompes, etc.), et de semi-conducteurs, ont entraîné une majoration manifeste des coûts de fabrication de la machinerie lourde. 

En troisième lieu, nous avons regardé l’incidence du prix du diesel à la pompe à Montréal du 31 décembre 2002 au 31 décembre 2020 (voir ligne bleu graphique 4). Cette fois, la relation est moins décisive en raison des fluctuations plus fréquentes à l’échelle mondiale des prix du pétrole. Malgré cela l’augmentation sur 19 ans aura été de 49.2%. Il n’en demeure pas moins que nous pouvons donc constater une tendance générale significative.

Concernant le poste « Entretien & réparations » nous ne disposons pas de données statistiques suffisantes pour compiler un graphique représentatif. Toutefois, nous estimons que les prix des pièces de rechange a suivi la même direction que les prix de la machinerie lourde. Quant aux salaires des mécaniciens chez les concessionnaires d’équipements, ils ont logiquement au moins suivi la même croissance que ceux du secteur forestier.

En ce qui concerne les frais d’assurances, nous pouvons affirmer qu’ils ont aussi subi des majorations notables en raison de la croissance des prix de la machinerie, et aussi des risques accrus. 

En somme, tel que démontré, l’ensemble des coûts d’opération a augmenté de façon indéniable au cours des 20 dernières années, et ils continueront de le faire dans le futur. 

Les industriels ont demandé des sacrifices importants à leurs sous-traitants dans les moments difficiles (2007 à 2015) en leur promettant un rattrapage lorsque la situation sera meilleure; il est plus que temps que l’ascenseur revienne, et que les tarifs soient ajustés à la hausse afin que les entrepreneurs forestiers puissent dégager des bénéfices normaux, investir dans des nouveaux équipements plus performants, faire de l’entretien préventif, former de nouveaux opérateurs et assurer leur relevé. 

Dites-vous qu’un entrepreneur forestier rentable est un entrepreneur forestier plus performant.

De plus, la formule de rémunération devrait même être changée pour un tarif horaire permettant de couvrir les coûts d’opération et de réaliser un bénéfice normal de 10%. Rappelons qu’une heure d’opération coûte une heure d’opération, peu importe la densité de la forêt, le relief du terrain, le nombre d’arbres au mètre cube, les prix du bois d’œuvre, etc.

Actuellement les entrepreneurs forestiers sont peu ou pas consultés par l’ensemble des intervenants de la forêt (industriels, MFFP, BMMB, etc.) en ce qui a trait à leurs coûts d’opération pour récolter, charger et transporter la matière ligneuse; ils sont pourtant à la base, pour ne pas dire à la souche de l’industrie. 

En définitive, ce n’est pas aux forestiers à assumer les pertes sur les erreurs d’estimation ou de sous-évaluation des droits de coupe sur les lots mis aux enchères du BMMB, surtout que ce sont ces prix qui déterminent ceux des GA. 

Présentement, ce que nous constatons, c’est comme l’équivalent d’aller jouer au casino avec l’argent des entrepreneurs forestiers.

En conclusion, les conditions de marché des prix du bois d’œuvre sont plus que favorables présentement pour que les industriels ajustent significativement et adéquatement la tarification des entrepreneurs forestiers, et qu’ils soient consultés et considérés par l’ensemble des intervenants forestiers. 

[1] Les Publications du Québec, éditions 2002 à 2021 (ligne verte dans les graphiques 2, 3 et 4)

[2] Gouvernement du Canada, L’état des forêts au Canada : Rapport annuel 2002 à 2019

[3] référence EquipmentWatch

[4] Statistique Canada, prix de détail moyens mensuels, essence et mazout, par géographie 


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