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Le scarifiage à monticules offre des avantages méconnus

La Coopérative forestière de Girardville est la seule au Québec à pratiquer le scarifiage à monticule à grande échelle.

11 mars, 2013  par Myriam Gauthier


Le Bracke M36.a, un équipement suédois d’une valeur d’environ 300 000 $, a été fabriqué pour travailler dans les forêts de conifères nordiques. Il apparaît sur la photo, arrimé à un transporteur Ponsse Elephant Silvana Import Trading

« Au Québec, on aime mieux faire de la “créditculture” plutôt que de la sylviculture », déplore le directeur général de la Coopérative forestière de Girardville, Jérôme Simard. L’entrepreneur plaide pour une plus grande utilisation des scarificateurs à monticules, qui offrent un rendement de croissance des arbres supérieur à celui des traditionnels scarificateurs à disques utilisés au Québec, lorsqu’employés sur certains types de terrain.

En 2007, la Coopérative forestière de Girardville, située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Dolbeau-Mistassini, au Lac-Saint-Jean, a acquis un scarificateur à monticules Bracke M36.a, le seul de ce type utilisé en Amérique du Nord. La coopérative est d’ailleurs la seule au Québec à pratiquer à grande échelle le scarifiage à monticules.

Cet équipement suédois d’une valeur d’environ 300 000 $ a été fabriqué pour travailler dans les forêts de conifères nordiques. Les équipements Bracke Forest sont distribués depuis 2006 sur le continent américain par Silvana Import Trading, dont les bureaux sont basés à Montréal.

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Après avoir acquis ce scarificateur hydraulique à trois rangées, les responsables de la coopérative ont voulu poursuivre dans la même veine en achetant d’autres équipements proposant de nouvelles techniques de sylviculture, telle que présentée dans les numéros de décembre 2008 et de mars 2009 d’Opérations fo-restières et de scierie.

L’entreprise s’est ainsi procurée d’autres scarificateurs programmables issus de la nouvelle génération produite par Bracke Forest. Depuis 2006, elle a acheté six scarificateurs à disques à deux bras T26.a et un de sa réplique à trois rangs, le T26 Plus. La coopérative a aussi misé sur l’acquisition de deux têtes planteuses P11.a, un équipement qui combine un scarificateur à monticules et un planteur mécanisé.

La Coopérative forestière de Girardville a planté plus de 22 millions d’arbres en 2012. Elle couvre un territoire allant jusqu’à 300 kilomètres au nord de Girardville. L’entreprise, qui a un chiffre d’affaires annuel de 25 millions de dollars, compte quelque 170 membres et emploie plus de 450 personnes, ce qui fait d’elle la plus importante coopérative forestière au Québec.

Potentiel intéressant pour le M36.a
Si les responsables de la coopérative sont satisfaits du rendement de leurs nouveaux équipements, ils souhaiteraient que le ministère des Ressources naturelles (MRN) accorde davantage de superficies de préparation de terrain à leur scarificateur à monticules M36.a.

Après la première année d’essai sur 300 hectares de terrain, la Coopérative forestière de Girardville a pu traiter de plus en plus de superficie, jusqu’à atteindre un traitement de 2000 hectares de terrain pour la plantation de résineux à l’été 2012. Son directeur général estime que le M36.a pourrait être utilisé sur une plus grande proportion des quelque 13 000 hectares que l’entreprise scarifie annuellement.

« Il y a eu des études concluantes avec le MRN sur le scarificateur à monticules, mais chaque fois, nous devons nous batailler pour l’utiliser, regrette Jérôme Simard. On nous dit qu’il manque d’études pour prouver que ce type de scarifiage est efficace au Québec. Il y a certainement un potentiel immense pour ce type de scarifiage, selon moi, puisqu’il permet d’améliorer les conditions de croissances des plants, lorsque pratiqué sur les terrains appropriés. »

Il estime que le MRN démontre un intérêt envers ce type de scarifiage, mais que la période de rationalisation traversée par le ministère ne lui permet pas d’investir suffisamment en recherche et développement.

L’homme d’affaires croit que la sylviculture devrait être abordée autrement. « Au Québec, on a peur du changement. On fait de la “crédiculture”; on regarde le nombre et le type d’équipement qu’il y a dans un secteur pour répartir la préparation de terrain, au lieu d’attribuer les machines aux secteurs appropriés. Quand on fait de la sylviculture, on travaille pour les plants, pas pour les machines », soutient-il.

Multiples avantages
Le scarifiage à monticules est une technique qui permet de produire de façon artificielle des monticules, ou buttes, qui créent un ou plusieurs microsites en vue du reboisement. La dimension des buttes varie selon l’essence plantée et le type de sol travaillé.

De nombreuses études, principalement menées en Scandinavie, démontrent que ces microsites créés par le renversement du sol sur lui-même ont des effets bénéfiques sur la minéralisation des nutriments et sur la croissance des racines. De plus, la mise en butte augmente la température du sol autour des racines, améliore le drainage et l’aération du sol, tout en réduisant la végétation de compétition.

Au Canada, des recherches sur le scarifiage à monticules ont notamment été menées en Colombie-Britannique, en Ontario et à Terre-Neuve. La Colombie-Britannique, après avoir connu les ravages du dendroctone du pin, a opté pour une large utilisation commerciale de cette méthode de préparation de terrain, pour favoriser la croissance et la productivité de ses nouvelles forêts.

Au Québec, quelques études ont été effectuées sur le sujet, mais le MRN manque encore d’informations sur le type de sol approprié au scarifiage à monticules, explique le gestionnaire de recherche pour le programme d’opérations sylvicoles chez FPInnovations, Denis Cormier.

« Le problème pour l’instant, c’est que le scarifiage à monticules peut être bien plus coûteux que le scarifiage à disques, alors il faut que des résultats efficaces aient été démontrés sur les sites écologiques appropriés pour justifier de tels coûts additionnels, indique-t-il. Je comprends le ministère de prendre des précautions; c’est une démarche normale lorsqu’on travaille avec l’argent public. »

Résultats encourageants
Au Québec, la plus importante étude sur le sujet a été mise en oeuvre en 1987 par la division du Saguenay-Lac-Saint-Jean du MRN et s’est étalée sur 22 ans. Elle visait à étudier l’effet du microsite sur la croissance de l’épinette noire après scarifiage à monticules (Bracke)ou à disques (TTS).

Les résultats de l’étude de cas faite sur deux secteurs de 200 hectares montrent que les gains en volume et en hauteur des plants sur monticules étaient respectivement de 165 % et de 62 %, comparativement aux résultats obtenus avec le scarificateur à disques.

Ces données publiées en octobre 2011 doivent cependant être analysées avec prudence. « Ces résultats se limitent au site de l’étude, et nous ne pouvons donc pas dire s’ils sont reproductibles, puisqu’il n’y a pas eu de nombreuses répétitions des sites étudiés », explique Denis Walsh, chercheur à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Il a compilé et analysé les données avec le professeur-chercheur Daniel Lord pour le compte du Consortium de recherche sur la forêt boréale commerciale.

Le MRN a démarré d’autres études dans la région en 2008, dans les secteurs de Roberval, Saint-Félicien et Mistassini et en 2010 dans le secteur de Chibougamau, cette dernière se faisant en partenariat avec l’UQAC. Une dernière étude a aussi démarré en 2012, à 200 kilomètres au nord de Mistassini, de pair avec la Direction de la recherche forestière du ministère.

Objectif: passer de 10 à 25 %
Compte tenu des résultats encourageants obtenus après les quelques années d’utilisation du Bracke M36.a par la Coopérative forestière de Girardville, le MRN a fixé comme objectif dans son Plan d’aménagement forestier intégré tactique, publié en décembre 2012, de faire passer le scarifiage à monticules dans la région de 10 à 25 % pour la période de 2013 à 2018.

« Nous avons eu de très bons résultats avec le M36.a; la co-opérative a prouvé qu’elle arrive à préparer le terrain à des coûts semblables, sinon inférieurs aux coûts de préparation avec un scarificateur à disques », souligne le responsable régional des semences et des plants pour le MRN, Jean-Pierre Girard.

Il est cependant important pour lui de rassurer les entrepreneurs forestiers: la transition vers le scarifiage à monticules se fera progressivement. « Il faut aller au rythme des gens et les respecter, ajoute-t-il. Il faut aussi savoir qu’il n’y a pas seulement le M36 qui peut être utilisé pour faire du scarifiage à monticules: on peut aussi utiliser les quelques têtes planteuses P11 qui sont déjà dans la région, et en faire avec des scarificateurs à disques comme le T26, si on les utilise autrement. Quant à moi, il y a un potentiel qui peut aller jusqu’à 50 % pour l’utilisation du microsite dans la région. »

M. Girard mentionne que des études faites en Colombie-Britannique ont démontré que les gains en volume et en hauteur permettaient d’accélérer la maturation des arbres de 12 à 16 ans. « On peut avoir le même volume de bois en 44 à 48 ans au lieu de 60 ans. Et si on attend à 60 ans avant de couper, on obtient 30 % de plus en volume. C’est un gain de productivité énorme », conclut-il.   

Un broyeur-scarificateur bientôt sur le marché
La Coopérative forestière de Girardville a testé pendant les deux derniers étés un nouvel équipement forestier qui combine deux opérations: broyage et scarification. Les responsables de la coopérative souhaitent utiliser le broyeur-scarificateur, capable même de broyer des souches d’arbres, sur une partie des terres brûlées par l’imposant incendie du lac Smokey.

L’incendie a ravagé plus de 140 000 hectares de forêt entre la Haute-Mauricie et le Lac-Saint-Jean pendant l’été 2010. Ces terres demeurent pour l’instant impraticables à la sylviculture, les débris de bois formant des amas d’arbres et de branches dignes d’un champ de bataille.

Le broyeur-scarificateur HB-800hp est le premier équipement conçu par le fabricant Bio-Ax de Saint-Prime, situé à proximité de Saint-Félicien. « C’est le broyeur forestier le plus puissant sur le marché, et le seul à avoir une double application, puisqu’il a été conçu pour être fixé à un scarificateur », explique le président de Bio-Ax, Serge Lamontagne. L’entreprise, qui a déjà reçu des commandes pour le HB-800hp, qui est prêt à être commercialisé, travaille aussi sur une nouvelle génération d’équipement capable de récolter la biomasse.


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