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La récolte de bois submergés

La méthode d’André Doyer pour sortir 400 billots du fond de la rivière Mitis.

16 avril, 2013  par Martine Frigon


Les 400 billots de la première récolte d’André Doyer (en médaillon) sont entreposés dans la cour à bois de Cèdrico à Price

La drave pratiquée autrefois, il y a plus de deux cents ans dans bien des cas, pour transporter les billots vers les moulins à scie, a laissé un volume inestimable de billes submergées dans plusieurs rivières et lacs du pays. À cela s’ajoute, au Québec, les forêts inondées à la suite de la construction de barrages hydroélectriques. Ce bois placé en anaérobie, soit dans un milieu sans air, fait l’envie de plusieurs entrepreneurs en raison de ses qualités spéciales. Il présente une apparence particulière et posséderait une très haute valeur ajoutée. Il serait également plus dense et plus résistant aux égratignures, et il conviendrait parfaitement à la fabrication de meubles ou à la rénovation de maisons ancestrales.

Certains y voient un type d’exploitation forestière porteur d’avenir, tandis que d’autres mettent un bémol en pensant aux coûts par rapport au prix de vente et aux marchés potentiels. André Doyer, qui habite dans la région de Rimouski, fait partie du premier groupe. Biologiste de formation et ancien consultant pour Hydro-Québec, il a mis au point une méthode de récolte qu’il croit rentable. Cette méthode veut concilier rentabilité et pratique écologiste.

« Lorsque j’étais consultant, on me demandait de vérifier les frayères à touladi, raconte André Doyer, et tout ce que je voyais, c’était du bois submergé! Ce bois a modifié les habitats naturels; il y a même des endroits où il n’y avait plus de poissons, juste des billots! C’est là que j’ai réalisé l’importance de ce phénomène. » C’est alors qu’il a crée son entreprise, baptisée Les bois oubliés, pour se concentrer sur la récolte des bois submergés dans les lacs et les rivières du Québec.

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Mais à qui appartient donc ce bois? « En théorie, il appartient aux entreprises qui ont payé les droits de coupe. En réalité, c’est impossible de retrouver les propriétaires parce que ce bois est submergé depuis des décennies. De plus, si jamais une entreprise réclamait ce bois, elle devrait également assumer la responsabilité d’avoir laissé tous ces billots dans un cours d’eau. Je ne pense pas qu’il y ait de réclamation de la part des anciens propriétaires, fait
remarquer André Doyer. »

Une rivière à drave
Un long processus attendait toutefois le biologiste pour obtenir les autorisations gouvernementales et réaliser un premier projet de récolte sur la rivière Mitis. Il a dû expliquer sa méthodologie en détail aux fonctionnaires de Pêches et Océans Canada et à ceux du ministère du Développement durable, Environnement et Parcs du Québec. « Ils étaient inquiets pour la préservation des espèces. J’ai mis des mois à leur expliquer mon projet et à prouver qu’au contraire, je protégeais ces espèces. Avant les activités humaines et la présence de billots, les habitats étaient naturels. Il y a maintenant de l’écorce au fond des rivières, ce qui représente des détritus. »

La rivière Mitis a servi de voie de drave durant au moins une centaine d’années pour alimenter le moulin à scie appartenant à l’époque à Price Brothers and Company. La municipalité de Price, un peu à l’est de Mont-Joli, doit d’ailleurs son nom à cette compagnie forestière. La rivière Mitis longe cette localité juste avant son embouchure dans le Saint-Laurent.

« C’est un cours d’eau que je connais beaucoup parce que j’ai y travaillé comme consultant pour Hydro-Québec; je savais qu’il y avait des billots dans ce secteur, explique André Doyer. » En octobre 2007, avec les autorisations gouvernementales en main, il démarre les activités de récolte. En deux semaines, son équipe récupérera plus de 400 billots mesurant 16 pieds pour la plupart, de diverses essences comme le pin, l’épinette et le sapin.

Une méthode écologiste
André Doyer veut travailler en consommant le moins d’énergie fossile possible, ce qui veut dire le moins de bateaux à moteur et le moins d’équipements lourds. « Mon principe est le suivant : je vise la rentabilité tout en essayant de procéder de la manière la plus écologique. »

La rivière Mitis étant peu profonde, il a pu extraire les billots à partir de la surface car la visibilité était très bonne. La méthode est simple : un bateau pneumatique transporte les ouvriers sur des quais flottants amarrés sur la rivière. Sur ces installations, deux personnes piquent les tiges avec une gaffe à billots. Le billot levé, on l’entoure d’un flotteur à chaque extrémité. Par la suite, il descend le courant vers une aire de récolte où une équipe de débardage l’attache à un câble relié à un treuil et le dirige vers une auge en demi-lune qui lui permettra de monter sur la rive. En tout, comme seul équipement lourd, une remorque à laquelle est installé le treuil qui tire les tiges. Bref, une dépense en énergie fossile à son minimum.

Les billots récoltés dans la rivière Mitis sont entreposés dans la cour à bois de la scierie Cèdrico à Price. Un échantillonnage servira à un projet de recherche avec le Service de recherche et d’expertise en transformation des produits forestiers (SEREX), situé à Amqui. On étudiera la façon de les classer, de les sécher et de les transformer le plus efficacement. « Le bois submergé est un bois plus serré et il n’a pas d’écorce; il est parfait pour les travaux d’ébénisterie. Nous ne voulons pas en faire des 2 x 4 et c’est pour cette raison que nous sommes en discussion avec le SEREX pour élaborer un projet pour quantifier la valeur de ce bois, précise André Doyer. »

Mais récolter le bois submergé, est-ce vraiment rentable? « J’envisage ce type d’exploitation pour un entrepreneur artisan dans la mesure où les opérations de récolte sont peu coûteuses. Dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie où les possibilités de récolte ont été réduites de façon importante, ce bois pourrait combler ce qui manque en volume pour alimenter un quart de travail dans une scierie », explique Luc Bouthiller, professeur au département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval.

André Doyer veut poursuivre des projets similaires dans d’autres lacs et rivières. À court terme, un autre projet est en cours, celui d’identifier le potentiel de récolte dans le lac Matapédia. Le bio-­logiste souhaite toutefois conserver une méthode qui protège l’environnement. « Je veux travailler le plus écologiquement possible. Mon rôle à moi, c’est de nettoyer les habitats naturels et de récolter une matière ligneuse qui est là de toute façon, souvent bien plus près des scieries que les parterres en forêt. »   


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