Opérations Forestières

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Garder la tête hors de l’eau

L’automne dernier, l’entrepreneur Serge Bureau subissait les contrecoups de la crise et passait en mode survie.

16 avril, 2013  par Clémence Richard


L’entrepreneur Serge Bureau, de Stoneham, a acquis en 2006 une abatteuse Timberjack 608S avec tête FMG 62C

La débandade de l’industrie ébranle jusqu’aux forestiers les plus prospères. En octobre dernier, par exemple, des coupures inattendues ont pris de court l’entrepreneur Serge Bureau de Stoneham, au nord de Québec. La fin abrupte d’une entente de 5 ans avec Scierie Leduc l’a contraint à mettre à pied 20 de ses 60 employés, à stopper ses quatre abatteuses et à rompe avec ses dix entrepreneurs sous-traitants. Pas moins de 95 pour cent de ses opérations forestières ont dû être abandonnées à deux jours d’avis. Une grosse affaire, d’autant que l’approvisionnement de la scierie pourrait ne reprendre qu’en juin 2008.

La récolte qu’effectuait Les Entreprises forestières Serge Bureau pour cette scierie représentait pourtant un contrat intéressant car le prélèvement de 15 000 m3 de bois sur les terres privées de Domtar était déjà réalisé et qu’aucune exploitation n’était prévue par Forêt Montmorency en 2007. La scierie, qui avait convenu en 2003 d’une livraison annuelle moyenne de 100 000 m3 de bois, avait établi l’échéance des opérations en décembre 2008. Soudain, évoquant une « certaine clause du contrat », elle a mis fin à la coupe des derniers 50 000 m3 dans la Réserve faunique des Laurentides.

Un dur coup
« On a su le mercredi 3 octobre 2007 qu’on devait tout arrêter le vendredi suivant », se contente de dire Serge Bureau. La scierie qui était fermée depuis le premier septembre, devait redémarrer ses activités à la mi-octobre, mais sa réouverture a plutôt été reportée en janvier 2008. À la fin d’octobre, 65 000 m3 de bois demeuraient encore empilés en forêt, raconte l’entrepreneur de 42 ans. « Nous devions le sortir, mais la scierie a également mis un terme au transport. Elle ne voulait pas de notre bois, arguant que sa cour était pleine et qu’elle attendait la livraison des billes qu’elle avait commandées ailleurs. » Scierie Leduc, propriété de Papiers White Birch, fournissait en outre une partie des 5100 tonnes de copeaux hebdomadaires nécessaires à la fabrication du papier de son usine de Québec.

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Or, au début de novembre, on pouvait observer une barge chargée de billes de 8 pieds amarrée à Québec près de la papetière Stadacona S.E.C. « C’est une partie des 60 000 mètres cubes de bois provenant des terres publiques de l’Île d’Anticosti », confirme Serge Bureau qui avait eu vent de cette transaction en juillet dernier. Une chargeuse sur les empilements de la barge transbordait le bois dans des camions-remorques prenant la route… « à destination de Scierie Leduc », rapporte le directeur général de la scierie, Paul Baillargeon. « Et il y en aura encore. Nous avons acheté ce bois au printemps 2007 en espérant que le marché se relèverait. »

De son côté, Loïs Lemay, directeur de l’approvisionnement en copeaux de la papetière, raconte qu’il lui a fallu « se virer de bord assez vite en octobre », se voyant privé brusquement de l’apport régulier des copeaux de leur scierie de Québec. Toutefois, les contrats fermes avec des scieries québécoises sont venus à la rescousse, dit-il. « Notre usine devant fonctionner avec de la haute densité dans notre recette de pâte, on est obligé d’aller chercher des copeaux au nord, à l’est et à l’ouest du Québec, pour trouver une qualité que n’arborent pas certaines aires d’approvisionnement en forêt publique ». Pourtant, les copeaux émanent de J.D. Irving, du Nouveau-Brunswick, de même que de fournisseurs de l’Abitibi, du Lac-Saint-Jean, de la Beauce et de l’ouest du Québec. « Ça fonctionne jusqu’à date, mais c’est précaire », rapportait M. Lemay le 2 novembre dernier.

La logistique perturbée
Un virage qui change aussi la donne du principal mandataire. « Nous avions prévu que nos opérations forestières dans Launière prendraient fin juste avant les fêtes 2008, explique Serge. Bureau. Mon fardier aurait transporté la machinerie de façon ponctuelle. »   Mais voilà qu’à l’automne dernier, du jour au lendemain et sous le choc, tous les sous-traitants bousculés réclamaient le déménagement de leurs équipements.

« Même si je comprends Scierie Leduc, j’aurais aimé me prévaloir d’un délai raisonnable. On ne peut reprocher à ses gestionnaires que leur manque de planification, dit-il. Tout compte fait, je préfère qu’ils procèdent ainsi plutôt que d’être acculés à la faillite et de ne pas acquitter notre facture, ou encore de fermer définitivement. J’estime qu’ils gèrent de façon économique. »

Toutefois, l’entrepreneur a non seulement perdu la fin d’un contrat, mais également l’ordonnancement de ses abatteuses pour l’exploitation d’un bloc de coupe de 30 000 m3 sur les parterres privés de la scierie à Saint-Gilles de Lotbinière. « Tout était planifié pour terminer l’année financière 2007-2008 avec ma machinerie. »

De gros frais fixes
Serge Bureau a pensé mettre la clef sous la porte en octobre pour encaisser le coup dur. Il se serait bien envolé vers le Sud en compa-gnie de Johane Blouin, sa conjointe et son bras droit à l’administration, pour se reposer un temps. « Mais il faut qu’on travaille, s’exclame-t-il. Les frais fixes sont élevés et les acquisitions récentes ont été nombreuses. » On peut en effet compter dans son parc d’équipements quelques abatteuses, dont une Timberjack 608 acquise en 2006 et deux autres, en 2004. Une niveleuse Volvo 740 avait été achetée en 2006 et une excavatrice Caterpillar 330, au printemps 2007. Son entreprise avait aussi procédé, en 2006, à l’achat d’une remorque à billots Manac ainsi qu’un fardier Manac muni de 3 essieux, d’un quatrième essieu au besoin et d’un « Jeep Dolly » à 3 essieux.

Parmi la centaine d’unités qui composent le parc d’équipements de Les Entreprises forestières Serge Bureau, on compte aussi deux transporteurs Timberjack, modèles 1410 et 1710, des excavatrices John Deere, modèles 330, 270 et 230, une Komatsu 300, une Hitachi 400 et une dizaine d’excavatrices, dont certaines sont affectées à l’excavation de constructions résidentielles. Pour la construction et l’entretien des chemins forestiers, l’entrepreneur utilise notamment un tracteur Caterpillar D6-R et trois niveleuses, dont deux John Deere 770. De plus, un camion neuf vient rajeunir l’ensemble des équipements à chaque année. Quant au transport du bois, il est assuré par 5 camions: trois Peterbilt, un Kenworth et un Mack. Sans oublier deux camions de service chargés de leur inventaire, le tout représentant un investissement d’environ 200 000 $ chacun.

Le premier contrat
C’est avec son père Claude Bureau que Serge a fait l’apprentissage du métier de forestier sur les parterres accessibles uniquement avec des chevaux et une débusqueuse à câble. En 1989, au décès de celui-ci, le jeune bûcheron de 24 ans acheta de sa mère la débusqueuse à câble, et c’était parti ! Son tout premier mandat, signé la même année, consistait à récolter 2500 m3 de bois pour Scierie Leduc, qui renouvela ses engagements année après année pendant 7 ans.

Toutefois, insatisfait de partager la mise avec deux autres entrepreneurs, Serge Bureau se tourna alors vers la Coopérative Laterrière, au Saguenay. Ces chantiers qui se prolongèrent pendant 7 ans lui offraient un volume intéressant de récolte de même que la construction de chemins forestiers. Investissant dans l’achat de machinerie, il parvint à présenter des contrats clés en main englobant le marquage des aires de coupe, la récolte, le transport jusqu’à l’usine, la construction et l’entretien des chemins forestiers, de sorte que les scieries ne fassent affaire qu’avec un seul entrepreneur, Serge Bureau. Sur quoi, Scierie Girard l’employa pendant deux ans.

Un campement vide
Le dernier contrat d’importance accordé par Scierie Leduc a été réparti entre deux entrepreneurs jusqu’au printemps 2007, puis confié après à la seule entreprise de Serge Bureau. Pour accommoder les travailleurs provenant à 95 % de l’extérieur, celui-ci aménagea en 2003 un campement pouvant loger jusqu’à 70 forestiers dans la Réserve faunique des Laurentides. Construit en 1995 par un entrepreneur de Lac-Etchemin, l’ensemble des bâtisses, d’une valeur de 400 000 $, a été agrandi récemment pour la somme de 200 000$.

Toutefois, à défaut d’opérations forestières dans ce secteur de Launière, le camp a fermé au début d’octobre. « J’ai investi en pensant à l’important volume de récolte qui contribuerait à payer le campement, précise M. Bureau. Mais il dort actuellement ! S’il avait été installé près de l’autoroute, plutôt qu’à 14 kilomètres dans les terres, il aurait pu desservir les travailleurs oeuvrant à la construction de la voie rapide. »

Investir et se diversifier
« Depuis que je suis en affaire, poursuit-il, je n’ai jamais cessé d’investir, de réparer la mécanique et d’améliorer ma place d’affaires construite au coût d’un million de dollars il y a deux ans. Notre chiffre d’affaires de 8 millions est attribuable aux très bonnes années précédentes. De l’ouvrage, on en avait tant qu’on en voulait. Toutes années confondues, à l’exception de 2007, nous avons récolté environ 200 000 mètres cubes de bois et nous étions habitués à une augmentation sensible d’employés à chaque année. »

Engrangeant bon an mal an d’assez bons profits, le propriétaire et seul actionnaire en est venu à créer quatre compagnies distinctes, chapeautées par Les Entreprises forestières Serge Bureau, « de peur qu’une seule ne fasse pas ses frais ».

Une compagnie s’occupe du travail des abatteuses et des transporteurs. Une autre gère la sablière, une troisième voit aux travaux d’excavation résidentielle et commerciale et une dernière administre la gestion des immeubles.

Gérer l’ensemble selon les fluctuations du marché requiert pas-sablement d’habiletés, juge M. Bureau, « et davantage présentement, puisqu’on fonctionne en mode prudence et survie. » Ce qui rend critique aux heures plus graves le maintien d’un personnel hautement apprécié. « Avec les années, on a réussi à dénicher de très bons employés, une fameuse équipe, quoi ! Mais je dois en mettre à pied. Paiements obligent. Les bons contremaîtres, les opérateurs fiables et compétents, les chauffeurs de camion responsables et les mécaniciens efficaces se font de plus en plus rares. Et ce ne sont pas tous les cuisiniers qui acceptent de s’isoler dans le bois pendant une semaine. Tous les deux viennent d’être remerciés après 8 et 10 ans de loyaux services. Je ne peux pas les garder », admet-il.

Tentant d’administrer au jour le jour et de réduire les dépenses, « cette gestion pourrait conduire jusqu’à la vente d’équipements, fussent-ils donnés ou presque », avouait-il en entrevue à la fin novembre. « À l’heure actuelle, on peut dire que les contrats couvrent 60 pour cent d’activités utilisant mes équipements, quoiqu’un bon nombre, pleinement assurés et remboursés mensuellement, dont la niveleuse Volvo, demeure garés sur le stationnement. Présentement, rien ne fonctionne en entretien des chemins et en transport de bois. »

Le chantier du Séminaire
Le patron reste cependant actif et est à l’affût de l’ouvrage qui se présente. Deux mandats exécutés pour Transports Québec depuis novembre et janvier concernent le déboisement en prévision de la construction de la route 175.

Parallèlement, certaines machines sont utilisées pour la construction de cette route. Il y a aussi le contrat d’excavation d’un bassin de rétention pour Tranports Québec, l’aménagement de sections du sentier provincial de motoneige pour le Club de l’Arrière-pays et le déneigement de Ville Stoneham accordé depuis bon nombre d’années à l’entreprise.

D’autres engagements touchent les terres du Séminaire de Québec. Il s’agit de la récolte de 25 000 m3 de bois pour Abitibi-Bowater dans le secteur du lac Taché, incluant la construction d’un chemin forestier de 14 kilomètres pouvant desservir les villégiateurs de La Seigneurie de Beaupré. Sur ce chantier, amorcé fin octobre, le contremaître Jocelyn Tanguay a travaillé fort pour monter à pied levé une équipe qui prélève le bois et fait le chemin.

« Quand on subit une coupure drastique comme cet automne, raconte-t-il, on perd des hommes et des sous-traitants importants. L’entrepreneur qui vient d’acheter une excavatrice, par exemple, n’attendra sûrement pas un an. Du jour au lendemain, nous sommes passés de 14 à zéro multifonctionnelles. Et il s’est écoulé trois semaines avant que le travail ne reprenne. On recommence donc à zéro. Rien n’est prêt. Pas même un kilomètre de coupe ni un kilomètre de chemin.

Normalement, les marquages sont tracés pendant l’hiver, bien avant la récolte. Là, tout est à faire en même temps. Les abatteuses sont juste derrière nous ! Aujourd’hui, lundi, on déboise, et cette nuit, des multi et des transporteurs vont avancer sur les parterres qui ont été enrubannés jeudi dernier…! Il faut travailler vite et en équipe de façon à planifier les affectations des opérateurs, dont celle de nuit idéalement réservée aux parterres les moins accidentés. »

Garder les mécanos
Serge Bureau raconte comment il a tenté de conserver des emplois de même que la vigueur de l’entreprise. « Les semaines suivant l’arrêt brusque de nos travaux dans le Parc des Laurentides, nos cinq mécaniciens ont travaillé à temps plein. Ça faisait partie du plan d’urgence que de rattraper le retard sur les réparations laissées en attente pendant les activités intenses qui nous ont tenus en haleine depuis le début de l’année 2007. Cependant, advenant une réduction d’ouvrage, on devra mettre à pied quelques mécanos, mais seulement au besoin… Si je gérais comme un comptable, je sabrerais dans toutes les dépenses. Mais dans mon livre à moi, assurer la maintenance des équipements en vue d’un prochain contrat est une saine stratégie. Lorsque notre machinerie est prête, on a une légère avance sur la compétition. Ce n’est pas du temps perdu et on garde nos mécanos. Ça prend de la vision ! Au fond, il faut être un peu « gambler », un peu fou. »

Quoiqu’il en soit, la situation demeure inquiétante. Le gestionnaire pige dans ses économies en attendant que la conjoncture lui soit plus favorable. « L’angoisse monte lorsqu’il est question des remboursements. Sinon rien n’est angoissant », assure-t-il. Pondéré et serein, Serge Bureau soutient que « ça ne sert à rien de rager. Ça brise notre santé. Il s’agit de faire son maximum, son possible, pas l’impossible. Je demeure confiant, même en sachant qu’il va tomber des joueurs partout au Québec. On veut seulement que cela ne nous arrive pas à nous. Et on travaille en conséquence pour survivre en attendant. J’ai une licence d’entrepreneur général en construction et excavation et je peux louer ma machinerie. N’empêche, conclut-t-il, 90 pour cent de mon chiffre d’affaires dépendait de la forêt. »

Dernière heure
À la fin du mois de janvier, c’était le statut quo pour Serge Bureau. Ni plus ni moins d’engagements et d’employés. On marche sur des oeufs. Les machines inutilisées étaient toujours pleinement assurées, et les plus récentes remboursées à chaque mois. « Je pourrai tenir le coup ainsi jusqu’à la fin de mars, dit-il, après quoi il faudra sabrer dans les dépenses. On est prudents d’ici là. »

Du côté de Scierie Leduc, le directeur Paul Baillargeon est dubitatif. Après vérifications et analyses du marché du bois, et compte tenu des mesures prises par les Américains pouvant contenir la récession et redonner vigueur à la construction, il a préféré reporter l’ouverture possible de la scierie en mars. La cour de la scierie est remplie de billes. Et c’est en vain que les gestionnaires ont tenté de vendre leurs milliers de mètres cubes de bois empilés dans la forêt publique des Laurentides, ce qui aurait permis à la scierie de récolter du bois frais pour leur papetière de Québec en 2008. « L’entreprise de Serge Bureau ne devrait donc pas reprendre les opérations avant la fin du mois de juin, dit-il. Et là encore, après réévaluation de la situation. »   

 


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