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Enfin un protocole forestier du carbone

9 février, 2023  par Guillaume Roy. Initiative de journalisme local


Presque dix ans après la mise en place du marché du carbone commun avec la Californie, Québec a adopté un protocole permettant de produire des crédits carbone forestiers sur le marché réglementaire. Contrairement à ce qui existe ailleurs, Québec a misé sur les bénéfices réels liés à la capture du carbone, une décision qui réduit les bénéfices à court terme, mais qui augmente la rigueur scientifique du processus. Quel impact aura ce protocole sur les pratiques forestières et la capture du carbone ?

« Normalement, on aurait dû avoir un protocole forestier en 2013, lors du lancement du marché du carbone, soutient Vincent Miville, directeur général de la Fédération des producteurs forestiers du Québec. Ça fait presque une décennie qu’on attendait ce dévoilement. »

« Le protocole forestier québécois était attendu depuis longtemps, confirme Jérôme Dupras, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique et chercheur à l’Université du Québec en Outaouais. Le Québec achetait des crédits compensatoires forestiers en Californie depuis plusieurs années alors qu’on ne pouvait même pas en produire ici. »

La Californie a mis sur pied deux protocoles forestiers dès la mise en place du marché carbone, soit un sur le boisement et le reboisement, ainsi qu’un autre sur l’amélioration des pratiques forestières. Jusqu’à maintenant, la majorité des crédits carbone compensatoires ont été générés par les forêts américaines.

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Pour compenser leurs émissions, plusieurs émetteurs québécois ont été forcés d’acheter des crédits américains, faute d’une production suffisante au Québec, générant une fuite de capitaux vers les États-Unis.

Selon ce dernier, le protocole forestier adopté par Québec a de bons et de mauvais côtés. Du côté positif, il relève que c’est le protocole le plus rigoureux de la planète au plan scientifique, car il tient compte des effets réels sur le climat et non pas de la quantité de carbone capté projeté sur 100 ans.


« Normalement, on aurait dû avoir un protocole forestier en 2013, lors du lancement du marché du carbone. Ça fait presque une décennie qu’on attendait ce dévoilement. »
 Vincent Miville

« Le protocole californien permet de produire des crédits compensatoires représentant la quantité de carbone que l’arbre captera pendant sa vie, explique-t-il. Les arbres doivent être maintenus à long terme et les producteurs doivent garder des zones tampons si jamais il y a de la mortalité ou des feux. » Ce modèle, appelé ex post, est de plus en plus critiqué d’un point de vue scientifique, car il ne calcule pas le réel effet compensatoire.

Claude Villeneuve, professeur et titulaire de la Chaire en éco-conseil à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), abonde dans le même sens. « De plus en plus d’études remettent en question l’approche traditionnelle des crédits forestiers, parce que dans certains cas, il n’y a pas de carbone supplémentaire de capté », dit-il.

Le Québec a pour sa part choisi l’approche ex ante, c’est-à-dire de délivrer des crédits seulement lorsque le carbone a été réellement capté. Aucun besoin de faire de suivi à long terme, car le calcul tient compte de l’effet sur le climat peu importe ce qui arrivera avec l’arbre par la suite.

Des retombées économiques à très long terme

Ce modèle fait toutefois en sorte que les revenus sont beaucoup moins importants au départ. « Habituellement, avec les protocoles de séquestration du carbone, la vente de crédits compensatoires représente la locomotive des projets de verdissement, soutient Jérôme Dupras. Avec le modèle québécois, la locomotive demeure la récolte de bois et le carbone est un revenu secondaire. »

C’est d’ailleurs la conclusion tirée par le MELCCFP dans son Analyse financière comparative de deux approches de comptabilisation du carbone appliquée à un projet de boisement en territoire privé. « La vente de ces crédits ne représente donc qu’un revenu d’appoint qui s’ajoute au revenu principal provenant de la récolte du bois », peut-on y lire.

La barrière à l’entrée est donc problématique, estime Jérôme Dupras. « À part quelques joueurs institutionnels de grande envergure ou les grandes entreprises privées, qui peuvent se permettre d’obtenir un faible rendement pendant plusieurs années, ça sera difficile à justifier d’un point de vue économique, croit-il. Il sera très difficile pour les petits entrepreneurs et les organismes locaux, comme les organismes de bassin versant, de mener des projets de reboisement avec ce protocole. »

Claude Villeneuve est du même avis, car les coûts initiaux de mise en place et de certification sont élevés et le retour sur investissement est très long. « Il faut compter près de 15 000 dollars pour installer le système, le faire vérifier et valider, mais il faudra attendre près de 60 ans pour faire un revenu similaire sur une terre d’un hectare », dit-il, citant la simulation faite par le groupe Carbone boréal et présentée dans un mémoire, Pour une gouvernance efficace de la forêt québécoise pour la lutte aux changements climatiques, présenté au gouvernement.

« Même une plantation de 10 hectares effectuée en 2022 ne pourrait pas mettre des crédits sur le marché avant 2050 par défaut de rentabilité, peut-on lire dans le mémoire. En revanche, après 2050, le revenu potentiel augmente très rapidement en raison d’un prix du carbone et d’un taux de production de crédits compensatoires élevés. Ainsi, une plantation de 10 ha pourrait potentiellement apporter un revenu d’environ 200 000 dollars américains sur 80 ans. »

À long terme, le protocole devient intéressant, mais les incitatifs immédiats sont faibles pour les petits investisseurs. À ce compte, les projets de compensation carbone sur le marché volontaire peuvent offrir de meilleurs incitatifs immédiats, car les propriétaires peuvent recevoir des montants dès la mise en place du projet, remarque Claude Villeneuve. Il faut toutefois tenir compte des responsabilités à long terme des propriétaires dans la prise de décision.

Pour avoir un impact réel et important sur la capture du carbone, il faudra toutefois attendre de voir le protocole à venir sur les terres publiques, lesquelles représentent 92 % des forêts québécoises, estime Claude Villeneuve.

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DES ATTENTES MODÉRÉES CHEZ LES PRODUCTEURS FORESTIERS

Les producteurs forestiers souhaitent profiter du nouveau protocole, mais il est encore trop tôt pour dire à quel point ils pourront en bénéficier.

« C’est un protocole complexe qu’on est en train d’analyser pour savoir comment on pourra en bénéficier », soutient Vincent Miville, directeur général de la Fédération des producteurs forestiers du Québec (FPFQ).

Ce dernier voit des avantages pour les producteurs forestiers dans le protocole mis en place par Québec, car il n’oblige pas le maintien des arbres pendant 100 ans, comme c’est le cas avec d’autres protocoles. Étant donné que la méthode calcule les bénéfices réels de la captation de carbone faite par l’arbre, il est possible de récolter la forêt à n’importe quel moment.

Pour les producteurs forestiers, il est donc possible de procéder à des éclaircies commerciales et des récoltes de bois lorsque la forêt atteint sa maturité, tout en obtenant un revenu d’appoint avec le carbone. À l’heure actuelle, il est toutefois difficile d’évaluer à quel point les propriétaires forestiers pourront profiter de cette nouvelle avenue. « On doit évaluer quelles sont les superficies minimales pour générer un revenu intéressant, car les coûts de certification sont élevés, note Vincent Miville. Selon les données préliminaires, on évalue qu’il faudra un projet de huit hectares, ce qui est relativement rare en forêt privée au Québec. »

Il faudra donc travailler à diminuer le fardeau administratif et à créer des regroupements pour réduire la charge de ces coûts afin de tirer profit de ce protocole en séquestrant plus de carbone dans les forêts privées.


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