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Des arbres matures en 15 ans au Québec !

Saviez-vous que l’on pouvait faire pousser des arbres matures en 15 ans au Québec ?

9 janvier, 2018  par Guillaume Roy


L’ingénieur forestier Éric Lapointe inspecte une forêt de peuplier hybride plantée il y a à peine six ans!

C’est le tour de force réalisé par Domtar avec son programme de production de peupliers hybrides lancé en 1997 pour augmenter le rendement forestier. En multipliant par sept le rendement de la forêt naturelle, le géant papetier est ainsi capable d’augmenter ses efforts de conservation tout en maintenant son approvisionnement.

En regardant la canopée, les feuilles couvrent presque complètement le ciel, et seulement quelques plantes arrivent à survivre sous ce couvert. Les peupliers bien enlignés font déjà une dizaine de mètres de haut, même s’ils ont été plantés il y a à peine six ans ! « Notre plan est de faire pousser des arbres de 15 mètres de haut, avec 15 pouces de diamètre en 15 ans », lance fièrement Éric Lapointe, coordonnateur aux opérations forestières pour Domtar, qui pilote le programme de peupliers hybrides depuis 2001.

« Notre programme de peuplier hybride s’est développé avec l’arrivée de nouvelle certification sous l’angle du développement durable, lance André Gravel, directeur de l’approvisionnement de Domtar pour l’usine de Windsor. Pour être en mesure de protéger des superficies forestières, on devait aménager de façon intensive d’autres territoires pour maintenir notre approvisionnement. »

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Ce programme a aussi émergé pour faire face à la compétition des producteurs de papier de l’hémisphère Sud qui sont en mesure de cultiver de l’eucalyptus mature en moins 7 ans, ajoute André Gravel.  

En 1997, Domtar se lance donc dans un vaste projet de recherche et développement pour accroitre le rendement des terres forestières du sud du Québec, en misant sur le peuplier hybride. Le plan : générer plus de fibre plus rapidement en misant sur des plants plus performants, mais assez rustiques pour tolérer l’hiver québécois, note Éric Lapointe.

Pour y parvenir, « les chercheurs hybrident les différentes espèces de peupliers pour faire ressortir les caractéristiques recherchées », ajoute ce dernier. C’est donc en mélangeant les variétés québécoises (Populus deltoides et balsamifera), de l’Ouest canadien (Populus trichocarpa), de l’Europe (Populus nigra) et du Japon (Populus maximowiczii), que l’on parvient à maximiser la croissance des arbres. Lorsque des plants à croissance rapide qui résistent à l’hiver et aux maladies sont produits, on coupe des tiges de l’arbre-mère pour produire des boutures qui seront mises en terre.

« Dès le départ, on a choisi d’utiliser une dizaine de clones différents, pour ne pas produire un gros bassin d’attraction pour les insectes et les maladies, explique Éric Lapointe. On ne plante pas plus de quatre hectares d’un clone dans une plantation et on essaie de les mélanger avec la forêt naturelle. »

Ces essais ont donné des résultats très variables et ils ont poussé les promoteurs à se poser des questions complexes pour optimiser le rendement. « Au départ, on broyait, on hersait et on plantait les arbres, mais ce n’était pas efficace pour le contrôle des herbacés, admet Éric Lapointe. Au fil du temps, on a développé une technique de plantation sur des monticules préparés par des pelles mécaniques. En renversant le sol où il n’y a pas de graines, ça diminue la compétition et ça fait un micro-drainage pour le plant. » Une solution idéale tant pour les terres agricoles en friches que pour les terrains forestiers.

Après avoir trouvé des clones performants, des solutions pour le drainage et pour minimiser la compétition, la croissance n’était pas encore suffisante, relate Éric Lapointe. « On s’est rendu compte que les sols étaient très acides et que la disponibilité en éléments nutritifs était très faible. Par moments, on est devenus plus des agronomes que des forestiers et pour augmenter la fertilité des sols, on a décidé d’épandre les boues papetières que l’on devait enfouir par le passé. »

Et le succès fut immédiat, car les arbres se sont mis à croitre d’environ deux mètres par année par la suite. « C’était la pièce du casse-tête qui manquait. Sans l’épandage, on met une croix sur le programme de peupliers hybrides, parce qu’on n’était pas en mesure d’atteindre les résultats escomptés », ajoute de dernier. L’impact des boues papetières est d’ailleurs flagrant dans une des plantations de Domtar où une forêt témoin sans boue côtoie une forêt fertilisée. D’un côté, les peupliers peinent à percer à travers les bouleaux et les herbacées alors que de l’autre, ils dominent le terrain.

Aujourd’hui, Domtar plante donc 900 peupliers hybrides par hectare en rangées séparées par des sentiers de 15 à 18 mètres de largeur pour faciliter la récolte et l’épandage, planifiés lors de la plantation et cinq ans plus tard. Des études sont en cours pour déterminer quelle est l’efficacité du deuxième épandage.

Vingt ans plus tard, après plusieurs échecs et remises en question, Domtar récolte le fruit de ses efforts, car le géant papetier est aujourd’hui en mesure de faire pousser des arbres de 15 pouces de diamètre, de 15 mètres de hauteur en 15 ans. Autrement dit, l’entreprise vise un rendement de 15 m3/an pour un total de 225 m3/hectare à la récolte, un objectif qui prend parfois 21 ans à atteindre.

« C’est un rendement sept fois plus rapide que la forêt naturelle et plus de trois fois plus rapide que le peuplier faux-tremble en Estrie », lance fièrement Éric Lapointe, qui a du trimer dur pour convaincre tous ses collègues de l’efficacité du programme qui faisait beaucoup de sceptiques au départ.

Et l’intensification de l’aménagement forestier s’inscrit toujours dans un objectif de minimiser l’impact sur la biodiversité en protégeant certains secteurs, comme ce fut le cas sur le mont Potton, dans les montagnes Vertes, où Domtar a facilité la protection de 4500 hectares (une partie en don et l’autre vendue).  

« On ne veut pas planter des peupliers hybrides partout, soutient Éric Lapointe. On vise 5% des terres des 160 000 hectares que possède Domtar. Pour l’instant, on a 6000 hectares de plantations de peupliers et on aimerait atteindre 8000 hectares. »

Avec le programme de peupliers hybride, Domtar cherche en fait à calquer le modèle de la Triade, ou une partie des forêts est protégée, une autre est aménagée de manière écosystémique et la dernière est aménagée de manière intensive, ajoute le coordonnateur des opérations forestières.

Selon André Gravel, l’aménagement intensif devrait d’ailleurs faire partie intégrante de la planification forestière dans les forêts publiques du Québec, pour faciliter l’adhésion des communautés forestière et des industriels dans le but de miser sur les trois pôles du développement durable, soit l’environnement, l’économie et le social.

« À chaque fois qu’on crée une nouvelle aire protégée au Québec, il faut qu’on dise quels hectares on va mettre de côté pour produire plus de bois. C’est super de créer des aires protégées, mais il y a une contrepartie si on veut continuer à créer de la richesse. C’est du moins le choix qu’on a fait il y a 20 ans », conclut-il.

Les visages multiples du peuplier hybride
Pour l’instant Domtar utilise le peuplier hybride pour la production de pâte. Le peuplier hybride pousse rapidement, mais il n’est pas très dense, avec un ratio TMV/TMA de 0,38 à 0,4, mais comme sa fibre est plus longue, il possède des propriétés physico-chimiques intéressantes. Les branches et les houppiers sont récoltés pour la biomasse à des fins énergétiques.

D’autres utilisateurs, comme Norampac, jadis une copropriété de Domtar, a également testé cette essence pour la production de carton. Louisiana-Pacific a aussi réalisé des tests à son usine de Maniwaki pour l’inclure dans la production de panneaux. Aux États-Unis, le peuplier hybride est utilisé pour la production de meubles et pour le déroulage.


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