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Créer une opportunité d’affaires avec une espèce mal exploitée

Une petite scierie du Lac-Saint-Jean tente de se démarquer en transformant le mélèze, une essence de bois aux caractéristiques uniques qui comporte son lot de défis et d’opportunités.

5 juin, 2013  par Guillaume Roy


Ci-haut : Le mélèze laricin est une espèce qui nécessite un traitement spécial pour obtenir de beaux produits finis.

« Tout le monde le coupe, mais personne n’en veut et personne ne le transforme », lance Joël Tremblay en faisant référence au mélèze laricin. Historien de métier, le jeune homme de 32 ans de Labrecque a décidé de lancer l’entreprise Mélèze Rouge en 2008. « J’ai toujours été attiré par le mélèze. Quand j’étais jeune, mon grand-père me disait : “’Va nous chercher quatre épinettes rouges, on va faire une pilasse pour la shed.”’ Depuis, j’ai toujours été impressionné par ce bois-là. »

Historiquement, les transformateurs de bois au Saguenay-Lac-Saint-Jean se sont concentrés sur la pâte et les 2 x 4, mais le mélèze n’est pas une bonne essence pour ces produits. Au fil du temps, il n’a donc jamais été prisé, ni valorisé, estime M. Tremblay.

Encore récemment, une coupe a eu lieu près de Labrecque, sur les terres de la MRC, mais le mélèze ne trouvait pas preneur. « Le sapin, l’épinette et le pin gris, tout était vendu, mais ils ne savaient pas quoi faire avec le mélèze », martèle le jeune entrepreneur.

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Un « problème à gérer »
Alain Chabot, conseiller industriel de FPInnovations basé en Abitibi, s’est également intéressé au sort que l’on réserve au mélèze. « Les grands industriels ont l’obligation de récolter le mélèze, de sorte qu’on en retrouve d’un à deux pour cent dans leur approvisionnement. Une fois à l’usine, il est souvent déclassé, car il nécessite un traitement particulier qui engrange parfois des coûts supplémentaires. » Selon ce dernier, une piste de solution pourrait être l’échange de bois entre transformateurs pour qu’un volume suffisant justifie un traitement différent.

Pour plusieurs transformateurs, le mélèze est « un problème à gérer », selon Carl Tremblay, scientifique pour FPInnovations. D’une part, le bois est plus dense et plus humide que les autres résineux ce qui fait qu’il prend beaucoup plus de temps à sécher. « Si on tente de le sécher en trois jours comme pour l’épinette, il tord », note Joël Tremblay.

D’autre part, on ne peut pas mélanger les copeaux de mélèze avec les autres copeaux, car ils sont plus humides.

Le mélèze ne peut être mélangé aux autres espèces de résineux, car ces propriétés et ses caractéristiques sont trop différentes. « Si on considère le mélèze comme un simple résineux et si on le traite de la même façon on risque d’être déçu au séchage, explique Carl Tremblay. Si on le traite comme un feuillu, on obtient de beaux résultats. »

Le propriétaire de Mélèze Rouge souhaite sensibiliser les autres transformateurs aux particularités de l’espèce, car l’approvisionnement est complexe. « En forêt publique, on le ramasse, mais le problème c’est de le transformer. Ce n’est pas un bois qui faut mélanger avec le sapin, l’épinette et pin gris (SPF). Plusieurs usines font souvent rien que du 2 x 6. Mais pourquoi ne fais-tu pas de la planche ? Nous, on l’achèterait au complet. On est une petite business, mais on pourrait passer une commande de 75 000$ de bois. »

Et le bois n’est pas toujours dans la condition idéale. « On achète parfois du bois qui est dans la cour depuis deux ou trois ans tout pognés en pain et qui commence à pourrir », ajoute-t-il. Si le mélèze était bien transformé, il trouvait facilement preneur selon ce dernier. « À force que le mélèze va être connu, ils vont commencer à le séparer. »

Dans son plan d’affaires initial, Joël Tremblay avait prévu un plan B, son lot à bois sur lequel pousse déjà beaucoup de mélèze. « J’ai planté plus de 7000 mélèzes au cours des dernières années et j’ai fait une demande de 5000 arbres de plus à la pépinière. On doit être presque les seuls à planter ça », lance-t-il. L’entreprise utilise une scierie mobile Gilbert pour répondre à ses besoins de première transformation.

Des propriétés uniques
Alors que les agriculteurs de jadis avaient apprivoisé ses propriétés uniques, les transformateurs québécois tardent à exploiter le plein potentiel du mélèze. « Au Québec, on ne connaît pas le mélèze. C’est un bois qui est antifongique et antiputrescible, tout comme le cèdre », explique Joël Tremblay.

La croyance populaire veut que le mélèze résiste à la pourriture. C’est vrai, mais pas tout le temps! Selon les derniers tests conduits par FPInnovations, le mélèze est parfois imputrescible et parfois pas du tout! « Les résultats des études varient beaucoup. Nous croyons que l’habitat où poussent les mélèzes influence grandement cette propriété, mais nous ne savons pas encore dans quel habitat », explique Alain Chabot.

Des transformateurs d’Allemagne et d’Autriche exploitent mieux le mélèze qu’on le fait au Québec. « Là bas, ils traitent le mélèze à part, comme le cèdre, afin de donner le maximum de valeur ajoutée à ses propriétés. Ils s’en servent pour faire des parements extérieurs et des produits lamellés-croisés (CLT), par exemple », commente Joël Tremblay, qui a participé en 2010 à une mission commerciale organisée par SERDEX international, un organisme qui assiste les entrepreneurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean dans leur développement vers l’international afin de favoriser l’expansion des exportations. En valorisant l’essence, elle se vend plus cher que les autres espèces et elle est plus recherchée des transformateurs. Tout le contraire de la situation au Québec!

Ce séjour a non seulement permis à Joël Tremblay de voir comment on mettait en valeur le mélèze en Europe, mais ça lui a également permis de faire de bons contacts, car dix autres transformateurs de la région faisaient aussi partie de la mission commerciale.  

Des produits pour mettre le mélèze en valeur
Cette année, Mélèze Rouge devrait transformer 200 000 pmp, principalement pour en faire des revêtements extérieurs, des planchers, des moulures, des lambris ou des plafonds. La taille de l’entreprise permet à Mélèze Rouge d’être très flexi-
ble avec ses clients et fabrique tout sur mesure. L’entreprise, qui emploie trois personnes à plein temps et une personne à temps partiel, vend ses produits directement aux clients et aux entrepreneurs. 

Selon Joël Tremblay, le mélèze est une excellente essence pour les produits extérieurs et l’esthétisme du bois lui donne un charme particulier pour les produits intérieurs. Certaines pièces de bois ressemblent carrément à une peau de zèbre où s’alternent les cernes foncés et pâles à un rythme plus ou moins régulier. En Europe, cet esthétisme est mis de l’avant pour en faire des produits à forte valeur ajoutée grâce à la technique du bois brossé. « En brossant le bois avec une brosse rigide, des transformateurs amplifient la texture du bois en produisant des effets de vagues sur le bois », commente Alain Chabot, de FPInnovations

Un résineux qui se travaille comme du bois franc
Le mélèze, la plus dure essence résineuse, se travaille comme un bois franc et l’équipement doit être utilisé en conséquence. Par exemple, Joël Tremblay utilise les couteaux  et les ajustements nécessaires pour les bois francs.

Pour sa production de moulures, il utilise une moulurière Logosol, une entreprise suédoise. Mélèze Rouge, qui favorise la transformation finale du produit afin de faciliter la vie au client, utilise une pompe Kremlin et une unité de teinte automatisée pour ses besoins de recouvrement. « Quand le client arrive, ses moulures sont teintes et il ne lui reste plus qu’à couper ses angles », lance Joël Tremblay. Les produits finis sont donc offerts en plus de dix couleurs allant du bois naturel au blanc opaque, qui laisse toujours paraître le grain du bois. Au cours des prochains mois, Joël Tremblay souhaite améliorer l’efficacité de la production en réaménageant la chaîne de production.

Des produits compétitifs
« Étant donné qu’on est le transformateur et qu’on vend directement au client, la marge est plus facile à gérer et nos prix sont très compétitifs », croit le transformateur jeannois. Par exemple, ses moulures de cadrage de 3,25 pouces huilées et prêtes à poser se détaillent à 1,75 $ par pied linéaire et les planchers de première qualité faits de planches huilées de 5,25 pouces se vendent à partir de 4,15 $.

Et la clientèle est au rendez-vous. « Je commence à couvrir le marché québécois au complet. J’ai récemment livré des planchers à Sept-Îles, du revêtement à Port-Cartier, à Québec, à Sutton, à Coaticook, à Montréal et plus encore », raconte fièrement Joël Tremblay.

Comment expliqué l’engouement pour le mélèze ? Difficile à dire, mais ses propriétés commencent à être plus connues et ça fait « exotique », car personne n’en a.

Bouilloire en vue
Mélèze Rouge est avant tout une petite entreprise familiale qui souhaite croître, mais avec des ambitions contrôlées. Un des prochains projets sur la liste : l’achat d’une bouilloire à biomasse pour chauffer la maison, l’usine, le séchoir à bois, et le garage. L’approvisionnement proviendra d’Industries Grandmont, une entreprise qui travaille avec Mélèze Rouge sur certains projets, a récemment acheté une machine à faire des bûches écologiques qui permettra de mettre en valeur les résidus de coupe.

Que réserve l’avenir pour Méleze Rouge ? « Je souhaite que Mélèze Rouge soit une belle PME ou on peut trouver des produits régionaux. Je veux avoir une belle entreprise écologique qui offre des produits nobles pour les maisons et les entreprises », conclut Joël Tremblay.  


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