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Chemins forestiers: les grands oubliés de la réforme

Le réseau de chemins forestiers québécois, qui représente de plus 300 000 km, coûte de plus en plus cher à entretenir. À qui incombe la responsabilité de ces chemins? À cette question simple, pas de réponse simple. État de la situation.

2 Décembre, 2014  par Simon Diotte


Tout le monde semble d’accord, en théorie, sur le principe de l’utilisateur-payeur. Mais comment appliquer ce principe?

Printemps 2014. Au nord du lac Saint-Jean, dans les vastes forêts de la MRC de Maria-Chapdelaine, le dégel hâtif combiné à des pluies torrentielles détruisent, à un rythme d’enfer, des kilomètres de chemins forestiers. Résultat: des villégiateurs se trouvent prisonniers de la forêt. Pour les sortir du bois, on entreprend des travaux d’urgence, sauf qu’une fois la tempête terminée, personne ne veut payer la note.

À la MRC de Maria-Chapdelaine, ces travaux de réparation ont coûté plus de 300 000 $. Les associations de villégiateurs et les deux zecs du territoire ont également contribué aux travaux, ainsi que des compagnies forestières. Tout le monde ou presque réclame maintenant une compensation financière de Québec. Selon eux, l’État, propriétaire de toutes les routes forestières qui circulent sur le domaine public, devrait en assumer les frais d’entretien. Mais est-ce vraiment le cas?

Ici, on entre dans un trou noir. Les pluies diluviennes du printemps dernier ont exacerbé un problème qui couvait déjà depuis longtemps dans le milieu forestier. En fait, tout a commencé par la crise qui a heurté de plein fouet l’industrie forestière dans les années 2000. Face à un ralentissement de leurs activités, les compagnies forestières, moins présentes dans le bois, ont délaissé de plus en plus de chemins forestiers. Mais ce qui a véritablement allumé le brasier, c’est la mise en place en 2013 du nouveau régime forestier. « Depuis la réforme, personne ne veut pas prendre la responsabilité des chemins forestiers », résume Jean-Pierre Boivin, préfet de la MRC de Maria-Chapdelaine.

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Avant la réforme, la foresterie québécoise fonctionnait selon le système des CAAF (contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier). Les compagnies forestières avaient la responsabilité de leurs territoires de coupe, qui leur étaient concédés pour 25 ans. L’industrie aménageait des chemins de qualité de façon à approvisionner leurs usines à coût compétitif. « Les compagnies avaient un lien d’appartenance avec leur territoire de coupe. En prévoyant à long terme, elles pouvaient justifier les frais de construction et d’entretien de ces chemins », explique Yves Lachapelle, directeur foresterie, au Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIRQ).

Ce régime a ouvert le territoire comme jamais, permettant aux chasseurs, pêcheurs, villégiateurs, campeurs, cueilleurs de petits fruits et de champignons, pourvoyeurs, compagnies minières et éoliennes, et même Hydro-Québec, d’accéder à la forêt à peu frais, sinon totalement gratuitement. Profitant de cette ouverture, le gouvernement a concédé des baux de villégiature un peu partout, comblant le rêve des gens désirant profiter d’un chalet en forêt.

Cependant, le nouveau régime forestier a mis la hache dans les CAAF. Désormais, la planification relève de l’État et le volume de bois garanti aux usines n’est plus relié à un territoire précis. « On ne sait même pas d’avance où on va couper notre bois. Pour satisfaire l’opinion publique, le gouvernement a complètement sorti les compagnies forestières de la forêt, brisant notre lien d’appartenance avec le territoire », explique M. Lachapelle. Comment justifier l’entretien de chemins qui pourraient servir à la concurrence ou à d’autres utilisateurs?

Résultat: quand les compagnies forestières n’effectuent pas de coupe dans un secteur, les chemins forestiers sont laissés à l’abandon. Pour maintenir les routes praticables, les villégiateurs doivent s’organiser. « Ce printemps, on a dû contracter nous-mêmes des entrepreneurs pour effectuer des travaux », explique Daniel Laliberté, président de l’association RO-256 chemin du lac long, qui a vu le jour en avril 2014 pour remettre en état la colonne vertébrale de leur territoire, la RO-256, qui dessert 300 villégiateurs dans la MRC de Maria-Chapdelaine.

Pour financer les travaux, l’association RO-256 a obtenu des subventions de la MRC et chaque villégiateur verse une cotisation de 50 $. Toutefois, les subventions ne seront pas éternelles. Qui prendra le relais? « On appuie la formule de l’utilisateur-payeur, mais dans les faits, il est difficile de collecter les entreprises forestières, dont plusieurs utilisent nos chemins sans verser aucune compensation, et les particuliers, dont beaucoup négligent de payer leur cotisation. Aucun recours n’existe pour les forcer à payer », déplore M. Laliberté.

Dans le réseau des zecs, qui couvre 48 000 km2 de territoire, l’entretien des chemins forestiers gruge maintenant 50 % des budgets. Malgré les sommes investies, les routes se dégradent. « Il est impossible de les maintenir en état. Selon un relevé récent effectué dans 35 zecs, on a 11 000 ponceaux à refaire, une facture de 3 M$. On n’a pas les moyens de faire ces travaux-là », soutient Sébastien Sirard, ingénieur forestier chez Zecs Québec.

Dans ces territoires publics dédiés à la chasse et à la pêche, on ne peut augmenter les frais d’adhésion des membres pour payer la note, car c’est le gouvernement qui fixe lui-même la tarification. « Si on pouvait le faire, ça irait contre notre mission, qui est favorisé l’accès au territoire au plus grand nombre », dit M. Sirard. Autre conséquence de la dégradation de la voirie: quand on met de l’argent sur les routes, on fait moins d’aménagement faunique.

Quelles sont les solutions? Tout le monde semble d’accord, en théorie, sur le principe de l’utilisateur-payeur. Mais comment appliquer ce principe? Comment s’assurer que campeurs, chasseurs, pêcheurs, trappeurs, pourvoiries, entreprises minières, sylvicoles ou forestières payent leur juste part chaque fois qu’ils circulent sur une route forestière? 

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Au printemps 2014, au nord du lac Saint-Jean, le dégel hâtif combiné à des pluies torrentielles ont détruit des kilomètres de chemins forestiers.

Pour le moment, c’est le silence radio de la part du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. On sait que les conférences régionales des élus se penchent sur la question. « Si le gouvernement veut garder le territoire ouvert à tous, il va falloir qu’il agisse », affirme Jean-Pierre Boivin, le préfet de la MRC Maria-Chapdelaine. Dans cette région vaste comme la Suisse, 37 000 km de chemins forestiers sillonnent la forêt. Comme solution, M. Boivin aimerait récupérer la totalité des revenus des baux de villégiatures (3500 sur ce territoire). Présentement, la MRC récolte la moitié. « Avec ça, on pourrait entretenir les chemins principaux »

La MRC de Maria-Chapdelaine réclame aussi un changement législatif qui lui permettrait de collecter les cotisations des associations de villégiature. « Les associations doivent actuellement se démener pour collecter tous leurs membres, les plaçant dans une situation difficile », déclare le préfet. Par exemple, à l’Association RO-256, près de la moitié des villégiateurs ne payent pas leur cotisation annuelle de 50 $, les rappels à l’ordre.

Face à une situation qui ne peut perdurer, une réflexion s’impose. « La densité de chemins est trop grande pour ce que nous sommes capables d’entretenir », affirme Jonathan Leblond, ingénieur forestier à la Fédération des pourvoiries du Québec. Tout le monde évoque la possibilité de fermer des chemins, mais il s’agit d’un processus très complexe (voir encadré). Chose certaine: les compagnies forestières ne veulent plus être les seules responsables du réseau et on doute que le gouvernement, en période de compressions budgétaires, prenne la relève. On n’est pas sorti du bois.

Impacts écologiques majeurs des chemins forestiers
La construction de chemins forestiers a des impacts majeurs sur la faune et le morcellement du territoire nuit entre autres au caribou forestier. Les études démontrent que ce cervidé ne s’approche pas à plus de 750 mètres d’une route.
 « Tout le sud du Québec est quadrillé de chemins à tous les 500 mètres! Résultat: cette espèce emblématique trouve difficilement un habitat propice pour sa survie », explique Martin-Hugues Saint-Laurent, professeur en écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski. Les routes forestières provoquent aussi l’ensablement des frayères, nuisant à la reproduction des poissons, et favorisent le déplacement d’espèces végétales envahissantes.

Pour cette raison, la certification du FSC exige un plan prévoyant la fermeture de chemins forestiers. Plus facile à dire qu’à faire! « On ne peut fermer un chemin public sans tenir une consultation. Il suffit qu’une seule personne s’y oppose, comme un chasseur, pour nous empêcher de le faire », dit Sébastien Sirard, de Zecs Québec. La fermeture d’un chemin engage aussi des frais importants afin de le remettre à l’état naturel.

Résultat: la fermeture de chemins est rare, admet Yves Lachapelle, directeur foresterie au Conseil de l’industrie forestière. « Quand on le fait, c’est dans un souci d’harmonisation avec le milieu », dit-il. Puisque l’industrie considère maintenant que les chemins forestiers ne sont plus de sa responsabilité, elle ne peut plus s’engager à procéder à la fermeture de chemins. « À moins que la réhabilitation fasse partie du processus en vue de l’obtention d’une certification », conclut M. Lachapelle.


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