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Changements climatiques et tordeuses: les forêts d’épinettes à risque

22 avril, 2020  par Guillaume Roy



Plus le climat se réchauffe et plus les forêts d’épinettes noires risquent d’être infestées par la tordeuse des bourgeons de l’épinette (TBE), selon une étude publiée par des chercheurs de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) dans la prestigieuse revue scientifique Global Change Biology.

Il y a quelques années, le biologiste Hubert Morin et son équipe de chercheurs à l’UQAC ont découvert que l’on pouvait étudier l’impact des épidémies de tordeuses de bourgeon de l’épinette en collectant les ailes laissées par les papillons — le stade adulte de la tordeuse – au fond des lacs.

Un premier projet de recherche a permis de recueillir six mètres de sédiments au fond du lac Flévy, dans la réserve faunique des Laurentides, retraçant 85 pics d’émergence depuis 10 000 ans. Selon les données recueillies, les épidémies étaient plus intenses en forêt boréale, où règne l’épinette noire, lorsque la température était plus chaude. L’équipe évalue maintenant d’autres sites pour confirmer cette hypothèse.

La hausse des température influencera le synchronisme entre l’éclosion des bourgeons et l’émergence des larves.

Selon les données historiques, la TBE est plus présente en forêt mixte, où l’on retrouve davantage de sapin baumier. Car même si on l’appelle la tordeuse des bourgeons de l’épinette, l’hôte principal de l’insecte est le sapin baumier. Pourquoi? Entre autres parce que l’apparition des bourgeons de sapin est synchronisée avec le développement de la larve de TBE. Quand elle est prête à manger, la larve trouve donc facilement des bourgeons de sapin. Les bourgeons de l’épinette noire émergent 10 à 12 jours plus tard en forêt naturelle, selon les experts de la Société de protection contre les feux et les incendies. Est-ce que les changements climatiques peuvent bouleverser cette dynamique ?

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Pour répondre à cette question, l’équipe de Sergio Rossi, ingénieur forestier et professeur au département des sciences fondamentales de l’UQAC, a réalisé une expérience en milieu contrôlé au lieu de regarder dans le passé. Des petits arbres de sapin baumier, d’épinette blanche et d’épinette noire ont donc été installés dans des cabinets de croissance où il était possible de contrôler la température, la lumière et les parasites. Le but : voir comment l’insecte et les arbres réagissent à une augmentation de la température de 5 et de 10 °C pendant plusieurs années.

Pour évaluer comment les changements climatiques peuvent influencer la dynamique des épidémies de TBE, il faut d’abord comprendre ce qui influence la réactivation des espèces au printemps. «Les larves s’activent selon la température extérieure, explique Sergio Rossi, alors que plusieurs facteurs, comme l’accumulation de neige et la lumière, influencent la réactivation des arbres.» De plus, les insectes peuvent s’activer et retourner en dormance rapidement, ce qui est impossible à faire pour un arbre.

L’hôte principal de la tordeuse des bourgeons de l’épinette est le sapin baumier. Elle s’attaque peu à l’épinette noire mais les changements climatiques pourraient changer la donne.

Synchronisme perturbé

Selon l’étude pilotée par Ping Ren, une chercheuse chinoise postdoctorale, plus il fait chaud et plus les larves de la TBE se réveillent tôt, alors que les arbres sont moins affectés par la température. Résultat : le synchronisme est perturbé. Au fur et à mesure que le climat se réchauffe, le décalage entre l’émergence des bourgeons du sapin baumier et des larves grandit. Pendant ce temps, l’insecte se synchronise de plus en plus avec l’émergence des bourgeons d’épinettes noires.

« Le sapin se fera encore attaquer dans le futur, mais le degré d’attaque sera plus faible que par le passé, explique Sergio Rossi. Pour l’épinette noire, c’est le contraire.»

Autrement dit, lorsque les larves se réveilleront sur un sapin, quand le climat sera de 5 °C plus chaud, elles pourraient ne pas trouver la bouffe qu’elles sont habituées à manger depuis des milliers d’années. Les larves qui se retrouvent sur des branches d’épinettes noires pourraient être mieux servies, même si le feuillage est moins digeste que celui du sapin, note le chercheur. « Ça pourrait augmenter la capacité des larves de se nourrir, et donc de survivre, sur l’épinette », dit-il.

Sergio Rossi, ingénieur forestier et professeur au département des sciences fondamentales de l’UQAC.

Ce dernier souligne que les impacts les plus marqués ont eu lieu au premier stade de réchauffement. « Ça veut dire que nous nous attendons de gros changements dans l’écosystème dès maintenant », dit-il.

« Notre travail démontre que le réchauffement climatique pourrait modifier le synchronisme entre la tordeuse et les espèces hôtes au Québec, et pourrait augmenter la sensibilité de l’épinette noire au parasite. Le changement climatique pourrait déplacer la sensitivité des peuplements de la sapinière à la pessière noire, en mettant en danger la forêt boréale qui, dans le passé, est restée partialement épargnée des grosses épidémies », ajoute-t-il.

La SOPFIM en attente

Comme elle n’est pas considérée comme un service essentiel, la Société de protection des forêts contre les insectes et les maladies (SOPFIM) ne sait pas encore si elle pourra effectuer des pulvérisations aériennes pour protéger les forêts contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette. « Présentement, nous sommes encore à évaluer si des activités auront lieux », a soutenu Isabelle Lapointe, la responsable des communications de la SOPFIM. En 2019, la SOPFIM a pulvérisé 447 000 hectares de forêts avec l’insecticide biologique Bt, un projet de 37 millions de dollars.


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