Opérations Forestières

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Bureau de mise en marché du bois de la forêt publique

22 février, 2013  par Alain Castonguay


Michel Vincent, économiste principal des consultants forestiers Del Degan Massé & associés (DDM) et André Tremblay, président du Conseil pour l’industrie forestière du Québec lors du colloque Kruger tenu conjointement par l’Association forestière des rives (AF2R) et la Semaine des sciences forestières, le 18 janvier dernier à l’Université Laval.

« Les enchères favoriseront la compétitivité dans l’industrie »
– Michel Vincent

L’ingénieur forestier et économiste Michel Vincent estime que l’établissement des enchères sur 25 % du volume de bois de la forêt publique du Québec est le changement le plus important apporté au régime forestier. Il croit également que ce mécanisme des enchères permettra à l’industrie québécoise d’améliorer sa compétitivité.

Michel Vincent est économiste principal des consultants fo-restiers Del Degan Massé & associés (DDM). Il était l’un des experts invités lors du colloque Kruger tenu conjointement par l’Association forestière des rives (AF2R) et la Semaine des sciences forestières, le 18 janvier dernier à l’Université Laval. M. Vincent a été économiste durant plusieurs années au sein du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ). L’entrevue s’est déroulée au bureau du Groupe DDM à Québec, en compagnie de son président, Bruno Del Degan.

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Opérations Forestières et de scierie : De quelle manière l’établissement des enchères permettra-t-il d’améliorer la compétitivité de l’industrie?

Michel Vincent : La révolution du nouveau régime, ce sont les enchères. C’est là où le changement aura l’effet le plus long, dans 5, 10 ou 20 ans. Cela forcera le changement de la structure de l’industrie. Pour l’expliquer, il faut comprendre la distinction entre rentabilité et compétitivité. Le gouvernement n’a aucun pouvoir pour influencer la rentabilité d’une entreprise, car ce sont les marchés qui la déterminent.

OF : Comme on coupe à peine 50 % de la possibilité à l’heure actuelle, ce n’est pas encore la cohue pour les enchères.

M.V. : En effet. Mais on va revenir à des niveaux de récolte plus élevés, et la garantie d’approvisionnement sur 75 % du volume ne sera pas suffisante. Les coûts fixes sont répercutés sur 75 % au lieu de 100 % du volume. En partant, ça augmente tes coûts fixes de 33 %. À cause des coûts fixes, tu dois aller chercher du bois à l’enchère. Ou tu acceptes de vivre avec des frais d’exploitation plus élevés. Mais ta ren-tabilité en est affectée.

OF : Certains acquéreurs qui ont gagné les premières enchères ne sont pas des détenteurs de contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF). C’était l’un des objectifs du Ministère?

M.V. : Oui, mais il est certain que ceux qui ne le sont pas devront s’entendre avec des détenteurs de CAAF, afin d’éviter de mauvaises surprises. Des industriels trouveront des entrepreneurs qui souhaitent leur fournir du bois à un meilleur prix. Des industriels pourront dire : « Moi je veux du bois à 60 $ le mètre cube livré dans ma cour. » Des entrepreneurs s’attacheront à des industriels avant de soumissionner, on s’attend à ce que soit la norme.

OF : Le prix moyen obtenu lors des enchères détermine la redevance pour le bois attribué en vertu de la garantie d’approvisionnement. Un des problèmes soulevés par l’industrie est que les lots invendus ne sont pas comptabilisés dans ce prix moyen, ce qui créerait une distorsion de la valeur réelle du bois.

Bruno Del Degan : Ça ne veut pas dire que mon lot invendu n’a pas de va-leur, mais que ma façon de le mettre en marché ne convenait pas. Si un jour on passe à l’enchère électronique, on pourra prolonger la durée de l’enchère pour attendre les offres pour les lots invendus.

Au début, le Bureau manquera d’expérience et ne valorisera pas tous ces lots correctement, parce qu’on ne connaît pas bien les acheteurs. Il devra s’approprier la clientèle. En Colombie-Britannique, il y a un forum des acheteurs, avec le vendeur. Tout le monde se parle. C’est essentiel pour que le système fonctionne et s’améliore.

OF : Le manuel du Bureau sur les enchères comporte beaucoup de clauses sur les responsabilités de l’acquéreur, mais rien sur les responsabilités du vendeur. Que se passe-t-il si le bois offert et acheté n’est pas en forêt?

B.D.D. : Cette façon de responsabili-ser l’acheteur est courante dans toutes les administrations. Il est probable que sur les 500 à 600 transactions par année, il y en où ça marche mal. Il y a 10 ou 12 cas semblables par année en Colombie-Britannique. Ça fait partie de l’implantation du système.

Il faut avoir récolté le bois à l’intérieur des 18 mois suivant la transaction. Ce délai ne doit pas être trop long, car on ne veut pas que les acheteurs spéculent sur la valeur de ce bois dans plusieurs années. On a fait le compromis à 18 mois à cause des contraintes hivernales. C’est aussi pratique courante aux États-Unis.

OF : À Transports Québec, les soumissions sont ouvertes en présence des enchérisseurs. Ça n’a pas été prévu par le Bureau. Comment valide-t-on l’analyse des soumissions?

B.D.D. : Dévoiler les prix avantage qui? A a proposé 10 $, B a offert 9 $, C veut payer 8 $, le lot est vendu à A pour 10 $. On dévoile tout ça, ou juste : A pour 10 $? Le fait de tout dévoiler peut favoriser une certaine collusion. Ça te permet de connaître les autres acheteurs, les offres faites et faire en sorte qu’ils discutent entre eux du prix à offrir. Dans ce contexte, l’ouverture des enveloppes ne peut pas être publique. Cette étape doit avoir un maximum de personnes responsables, sans attaches ni intérêts, d’ouvrir les enveloppes.

L’enchérisseur peut aller en forêt et faire son propre inventaire. La localisation du lot est connue. Il peut trouver une différence par rapport à ce qui est mentionné dans l’appel d’offres dont il pourrait profiter.

OF : L’industrie est-elle en mesure de profiter du nouveau modèle?

M.V. : On n’aura pas le choix de s’en aller là-dedans. Si on ne le fait pas, on va crever. Comme industriel, si ton coût de bois moyen est à 60 $ le mètre cube, et que tu es prêt à vivre jusqu’à 65 $, tu participes aux enchères et ce volume supplémentaire peut coûter jusqu’à 80, 90 $. Ce n’est pas grave, ton coût moyen augmente d’un dollar ou deux. C’est marginal, dans un contexte de coût moyen. C’est ce qui est arrivé avec les premières enchères. Mais en 2013, si tu soumissionnes comme ça, c’est 100 % de ton volume qui sera affecté par le calcul des redevances. Si toutes les compagnies se comportent ainsi, les droits de coupe augmenteront du jour au len-demain. Ce n’est pas ce qu’elles veulent, et ce n’est pas souhaitable.

B.D.D. : Je ne suis pas certain que les bénéficiaires de CAAF ou les détenteurs de garanties d’approvisionnement seront ceux qui performeront le mieux dans le cadre des enchères. Ça va créer un marché d’entrepreneurs. En Colombie-Britannique, Weyerhaueser ne soumissionne pas aux enchères. Ce sont des entrepreneurs qui soumissionnent. La compagnie détermine le prix qu’elle est prête à payer. Je pense qu’il arrivera la même chose ici.

M.V. : Ce qu’on voit aussi dans cette province, c’est que le soumissionnaire livre toujours son bois à la même usine. L’entrepreneur devra améliorer ses techniques de récolte, son personnel, etc. C’est une tout autre dynamique et ce seront les meilleurs qui resteront en forêt.

OF : Cette concurrence entre les pairs, c’est ce qui fera la différence, non?

M.V. : Les usines du Québec sont en concurrence avec les usines américaines, canadiennes, européennes, mais pas avec celles de la même région. Si ton concurrent qui évolue dans le même contexte que toi gagne toutes les enchères, ça t’oblige à innover pour être meilleur que lui.

OF : Sur le terrain, comment ça va se passer? Dans plusieurs régions, les opérateurs d’abatteuses sont syndiqués et sont logés dans les campements de l’industriel. Comment vont-ils réagir lorsqu’ils verront le bois passer?

M.V. : On se posait ces questions quand j’étais au CIFQ. On a vécu cette crainte de l’inconnu avec le régime qui est entré en vigueur en 1986. On sortait du régime des concessions forestières. On se disait que c’était impensable et impra-ticable. On a fini par trouver le modus operandi.

Rentabilité vs compétitivité
Au colloque du 18 janvier dernier, Michel Vincent a pris soin d’expliquer la différence entre les deux concepts de rentabilité et de compétitivité.

« La rentabilité est un concept appartenant aux sciences comptables, précise-t-il. On distingue les revenus et les dépenses, et ça s’applique d’abord et avant tout à une entreprise. Dans le meilleur des cas, on l’évalue par trimestre, ou sur une base annuelle. Ça n’a aucune utilité au plan décennal, c’est à court terme. La rentabilité est en corrélation directe avec les marchés et peut se mesurer par différentes valeurs comme le BAAIA, le bénéfice d’exploitation. »

« La compétitivité se rapporte aux sciences économiques. Les économistes ne s’entendent pas sur le moyen de la mesurer, mais il y a consensus sur la capacité d’une industrie à maintenir ses parts de marché. Le concept, associé à une valeur à long terme (5 à 10 ans), s’applique plus difficilement à une entreprise en particulier, mais davantage à un secteur industriel, ou à une entreprise de grande taille. » A.C.


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